L’âme de Chaumet

« Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? » Réponse avec Jean-Marc Mansvelt, CEO de Chaumet, qui ne fait ni mentir les vers de Lamartine ni le message de la nouvelle ligne Bee My Love.

Judith Spinoza

Chaumet a récemment sorti chez Flammarion l’ouvrage intitulé L’Âme du bijou. Quelle est cette âme selon Chaumet ?

Nous souhaitions montrer qu’au-delà de sa technicité et de son esthétisme, le bijou abrite des profondeurs insoupçonnées, des dimensions anthropologiques ; sociologiques ; philosophiques.

Jean-Marc Mansvelt, CEO de Chaumet

La collection emblématique Bee My Love, qui vient de s’enrichir de nouvelles pièces, est l’expression sublimée du premier symbole de l’engagement amoureux. Que dit Bee My Love ?

Bee My Love fait tout d’abord référence à l’histoire de l’abeille, ce symbole extraordinairement important du premier Empire, devenu celui de la Maison. Quand nous parlons de Bee My Love, nous parlons des abeilles ; de l’amour ; mais aussi de la vie et de la transmission de génération en génération. Je rappelle que les abeilles sont aujourd’hui capitales. Sans elles il n’y a pas de vie, pas de planète !

Par essence, Bee My Love est une ligne d’amour et d’émotion. Comment intégrez-vous cette dimension dans le parcours client et la communication sur les réseaux sociaux ?

Ce sont des dimensions essentielles à la Maison depuis ses débuts ; puisque le mythe fondateur de la griffe, c’est cette histoire d’amour entre Napoléon et Joséphine, à la fois unique et universelle. C’est donc l’importance du lien amoureux que nous mettons très naturellement en lumière dans nos magasins ; ainsi que sur nos réseaux sociaux.

La collection s’est enrichie de pièces « plus précieuses que jamais » ; notamment avec la taille Impératrice, une taille de diamant inédite qui revisite l’alvéole. Qu’apporte cette prouesse au design de la collection ?

Être capable d’inventer une forme hexagonale dans cette taille de diamant, c’est réunir les deux dimensions fondamentales de la joaillerie : le métal et la pierre. La brillance est tout particulièrement portée par le travail du métal, des facettes, de ce côté très anguleux, très précis, et renforcée par l’éclat exceptionnel de la pierre.

Vous avez débuté chez L’Oréal en 1988, intégré le groupe LVMH en 2004 et vous avez été nommé à la tête de Chaumet en 2014. Après 8 ans dans le secteur de la joaillerie, quelles évolutions relevez-vous du côté des Maisons ?

Concernant Chaumet, c’est le fait que l’on raconte plus qu’avant l’histoire de la Maison : ses grands personnages, les références culturelles et symboliques. Tout ce qui se cache derrière nos bijoux et leur virtuosité créative. Chaque pièce n’est pas seulement un beau bijou, beau à porter, mais un bijou doté de sens. Il s’agit d’une évolution importante, car on ne l’avait pas raconté pendant un quart de siècle !

La clientèle, notamment la jeune génération, a elle aussi d’autres attentes…

Elle est particulièrement sensible au sens, à ce qui est réel et véridique, à ce qui traverse le temps. Elle est aussi très intéressée par le savoir-faire et les créations tangibles. C’est pourquoi il est essentiel de lui raconter notre vérité, notre histoire et notre métier unique.

Oscillant entre collections abordables et commandes sur mesure, la joaillerie a-t-elle deux visions du luxe ?

Il n’y a pas deux visions du luxe. Le luxe parle d’un objet désirable, créatif, d’un objet virtuose, d’un objet qui vise à l’excellence et à la perfection. Ceci est tout aussi valable lorsque l’on fait une commande spéciale main dans la main avec un joaillier ; ou lorsque l’on découvre une collection et que l’on réfléchit à ce que l’on souhaite s’offrir ! Que veut-on dire à soi-même ou aux autres… Il s’agit de la même vision, du même savoir-faire et de la même créativité.

Vous avez dit, à propos des maisons joaillières, qu’il faut retrouver « le temps de penser, de créer et de fabriquer ». Qu’est-ce que cela signifie très concrètement ?

Cela signifie qu’une Maison de joaillerie n’est pas une Maison de mode soumise au dictat des saisons. Bien au contraire, la joaillerie est marquée par la continuité, par le temps long. En cela, elle est à rebours du cycle de la mode. Le rejet de cette consommation frénétique lié à la pandémie démontre que nous sommes en phase avec cette nouvelle façon de consommer.

Vous insistez aussi sur le fait d’« être soi » et de se tourner plus que jamais vers l’authenticité et le vrai…

Les marques ont aujourd’hui la capacité de raconter beaucoup de choses, mais il n’y a que peu de Maisons existant depuis deux siècles et demi qui ont traversé le temps en ponctuant leur histoire de grands personnages (artistes ; hommes et femmes de pouvoir ; femmes de création ; etc.) Chaumet se raconte sans rien inventer. Or, le public est plus attaché à des histoires vraies et authentiques qu’à des histoires fabriquées.

Début octobre, Gucci vient d’imaginer un nouveau concept store en ligne proposant des pièces vintage issues des 100 ans de la Maison italienne faisant écho à d’autres Maisons ; comme Isabel Marant Vintage, qui a lancé sa plateforme digitale en juin. Les grandes Maisons de joaillerie vont-elles emboîter le pas à cette tendance écoresponsable en développant leurs propres sites ou corner vintage ; sachant que les montres et les bijoux sont les principales catégories du marché de l’occasion (plus de 75 % de tous les achats en 2021) ?

La joaillerie est un métier caractérisé par des objets qui traversent des générations, serait-ce en haute joaillerie ou en joaillerie. Ce sont des créations qui se transmettent, continuent à vivre ; si bien que de ce point de vue-là elles ont déjà une dimension que j’oserais qualifier d’écoresponsable. Pour autant, les pièces de joaillerie prennent une place importante dans les ventes aux enchères avec des records de vente et des pièces exceptionnelles. Cela démontre un réel intérêt autour de ces pièces historiques. Les Maisons réfléchissent à l’idée d’organiser par elles-mêmes ce marché de la seconde main dans lequel chaque griffe aura envie de revendre ses propres pièces.

Bijou connecté et ultra-précieux ? À quoi ressemblera le bijou en 2030 ou 2050 ? La maison Chaumet travaille-t-elle sur ce genre de projets ?

Créer des pièces iconoclastes ou hybrides n’est pas notre approche. Nous veillons à rester authentique en proposant des choses qui font à la fois sens dans l’histoire de la Maison et qui s’inscrivent dans la modernité. Le brief que nous avions fait aux étudiants de la Central Saint Martins pour imaginer un diadème du XXIe siècle est un bon exemple de l’esprit Chaumet. Ce bijou de tête devait rester dans la filiation des 3 000 diadèmes créés depuis l’origine de la griffe ; tout en ouvrant les portes du futur. C’est une mission complexe que de toujours pousser les standards de l’excellence ; d’être dans la tradition de créativité et de virtuosité !

chaumet.fr

Lire aussi : À quoi ressemblera la mode de demain ?

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