En immersion chez K.Jacques

Visite de l’atelier artisanal K.Jacques, entreprise du patrimoine vivant à Saint-Tropez, afin de comprendre l’engouement des consommatrices libérées pour les tropéziennes depuis Et Dieu créa la Femme.

Éric Valz, photos Marion Dubier-Clark.

« Les tropéziennes de K.Jacques ont toujours deux ans d’avance », se réjouit le plus ancien distributeur international de l’enseigne (Saint-Barthélemy). À croire que c’est dans cet atelier, à 700 mètres du centre de Saint-Tropez, que se dessine la tendance, chaussée par les accélérateurs de notoriété et de chiffre d’affaires que sont les people (Kate Moss en 2008 ou Michelle Obama en 2008 et 2017)…

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Ici donc, depuis les années 2000, en journée continue, les artisans salariés prennent le travail à huit heures, pour éviter les légendaires embouteillages, et en ressortent à 16 heures, pour profiter de la plage, des enfants et de la lumière si particulière qui baigne les façades du fameux village au moment de la tombée du soir.

Trois boutiques à Saint-Trop’

Le centre commerçant de Saint-Tropez n’est guère plus grand, en superficie, que la place de la Concorde à Paris. Dans ses ruelles, vous ne croiserez pas moins de trois boutiques K.Jacques, que quelques grandes enseignes du luxe aimeraient acquérir. Peine perdue : l’atelier 3.0, dédié au sur-mesure et aux rendez-vous privés, rue Mermoz, n’est pas à vendre. Pas plus que la boutique rue Henry Seillon, redessinée par Matali Crasset, ou le magasin d’origine – qui date de 1933 – de la rue du Général Allard, fréquenté en son temps par Brigitte Bardot et aujourd’hui par Carla Bruni, la violoniste Anne Gravoin ou Anaïs Jeanneret. Avec les Néerlandaises, les pointures s’agrandissent. Moins avec les Russes, nettement plus attirées par les feux de Cannes ou Monaco.

Mais qu’est-ce qui attire donc toutes ces femmes (90 % de la clientèle) – certaines achètent jusqu’à une dizaine de paires de tropéziennes par saison – de mars à octobre, dans cette entreprise familiale mono-produit dédiée à la sandale, et pas ailleurs ? Qu’est-ce qui fait que 70 % de la production de l’atelier est exportée dans le monde entier, respectivement sur les marchés US – K.Jacques vient d’y ouvrir un bureau de presse –, européen (Italie en tête) ou asiatique (moins au Japon, freiné par les contraintes administratives) ?

Entreprise du patrimoine vivant

Le déclencheur est son fondateur, arménien. Passé par un orphelinat de Corfou avant de retrouver sa famille au Liban, il débarque par hasard sur le petit port de cabotage de Saint-Tropez dans les années 30. Agop – traduisez par « Jacob » ou « Jacques » – Keklikian ne sait rien refuser à sa clientèle, qui fait donc de la personnalisation bien avant l’heure (de 30 à 40 % du chiffre d’affaires). À croire que le « chasseur de perdrix » (signification de Keklikian) a anticipé les futurs déboires de la famille des garçons chauves (Kéloglanian) à Roman : « J’aurais mieux fait de m’occuper des pieds de mes clientes plutôt que de mes banquiers », a soupiré en 2005 Stéphane Kéloglanian, le personnage-clé de la marque Stephane Kélian, lors de la liquidation judiciaire de son entreprise…

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Peu de chance que ça arrive chez K.Jacques, porté depuis 2007 par son site d’achat en ligne, son prestigieux label EPV (Entreprise du Patrimoine Vivant), ses 34 familles de modèles pour 1 800 créations et… l’hémisphère sud (Australie, Californie…) qui permet à l’atelier de tourner l’hiver.

Il n’est que richesse que l’homme

Bernard Keklikian, le gérant de l’entreprise et fils de Jacques (son frère est le directeur artistique de l’enseigne qui travaille directement sur les formes, son épouse s’occupe de la logistique et ses deux filles de la communication), détaille pour nous : « Ici, nous avons une vision à long terme des choses, comme de la stratégie de transmission de l’entreprise. On ne parle jamais de prix quand on achète nos matières premières (chez les mêmes fournisseurs que Gucci ou Vuitton), car nous connaissons bien l’attachement particulier des consommateurs à leur chaussures. » 

Au-dessus du bureau de Bernard trône la devise de l’entreprise, une citation du philosophe et théoricien politique Jean Bodin (1530-1596) : « Il n’est de richesse que l’homme. » Une richesse et un homme dont l’imagination est sans limite, proposant pas moins de 250 choix possibles pour confectionner sa paire de spartiates, qui pourra nécessiter jusqu’à 120 pièces détachées, assemblées comme toujours en 16 postes sur un parc de 40 machines (pas moins de cinq postes sont dédiés aux semelles). L’atelier artisanal produit 120 paires personnalisées par jour, avec adaptation du chaussant, ou 250 paires par jour pour les détaillants.

Gestuelle chantante

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L’opération préférée en atelier n’est ni le calibrage de l’épaisseur du cuir, ni le découpage autour de ses imperfections naturelles, le galbage du cuir à chaud, le collage, le fraisage, l’affûtage, le brossage, « le bichonnage » (le lustrage)… c’est le montage et le fixage des lanières, tendues alors comme des cordes de guitare : on vérifie leur tension et leur solidité en les faisant claquer. Une gestuelle chantante, onirique, qui donne son nom à la partie supérieur de la sandale, la « claque ».

Ne reste plus alors qu’à prendre son mal en patience, à attendre 48 heures, la livraison de sa paire personnalisée en boutique, ou 12 jours par le site de commerce en ligne, pour, en ouvrant la boîte, humer d’abord l’air de Saint-Tropez, avant de « se sentir sioux ou romain en portant des K.Jacques », comme naguère le poète Paul Géraldy qui visitait Colette dans les environs.

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