La guérilla écolo

Pour certains militants écologistes, manifester pour un monde plus vert tombe sous le sens. Mais d’autres préfèrent développer le concept de guérilla, plus propice aux changements radicaux dont notre planète aurait besoin pour se sauver.

 

Raphaël Turcat

« Planter des tomates en ville n’est pas un truc de bobos. » La sentence est de Cookie Calcair, auteur de la bande dessinée Guerilla Green qu’il a réalisé avec la Youtubeuse Ophélie Damblé. Dans cet ouvrage sous-titré « Guide de survie végétale en milieu urbain », le duo prône l’appropriation de l’espace public en plantant et en entretenant plants de légumes et arbres fruitiers dans chaque espace que le béton des villes a oublié de recouvrir. « Je me suis lancé dans le maraîchage en ne connaissant rien, annonce la blogueuse-maraîchère. J’ai fait crever des tonnes de plantes, mais c’est juste la vie. Plantez-vous car ce sont les échecs qui font avancer. » Forte de ses 17 000 abonnés à sa chaîne Youtube, Ophélie Damblé en profite pour faire découvrir des initiatives comme la Cité Fertile, « tiers-lieu écoresponsable » installé à Pantin dans une ancienne gare de marchandises SNCF. On y plante des arbres, on sensibilise à la consommation responsable, on forme les visiteurs à l’économie circulaire…

La démarche d’Ophélie et de Cookie est une version contemporaine de la guérilla gardening née dans les rues new-yorkaises, il y a cinquante ans. Le concept ? Construire les campagnes à la ville, même si les moyens mis en œuvre sont condamnés par la loi. Soit utiliser le jardinage comme d’autres utiliseraient le fusil pour infléchir le cours de l’histoire – en l’occurrence le droit à la terre, la réforme agraire et la permaculture. En 1973, au milieu d’un lotissement abandonné de Manhattan, à l’angle de Bowery et de Houston Street, une certaine Liz Christy y crée le premier jardin communautaire de New York en ne payant à la ville qu’un dollar par mois. Si ce modèle de guérilla soft a essaimé partout dans le monde, d’autres, plus dures, ont aussi vu le jour, prônant une écologie autrement plus offensive.

Lire aussi : L’appel de la nature

« Les petits gestes du quotidien »

« La transition écologique, c’est du foutage de gueule ! » L’auteur de ce cri du cœur est un trentenaire au look plus proche d’un assistant parlementaire giscardien que du sous-commandant Marcos. Pourtant, Nicolas Hazard est l’un des représentants de cette nouvelle forme de guérilla écologiste qui en a soupé de la politique des petits pas, d’autant qu’il juge ceux-ci comme autant de régressions. Pour sauver la planète, ce diplômé de Sciences-Po et de HEC pourfend « les petits gestes du quotidien » qui donnent bonne conscience, mais ne changent rien à l’affaire dramatique qui se noue. Lui appelle de ses vœux une révolution politique : « On va se fixer une échéance à très long terme, puis une autre et ainsi de suite jusqu’au précipice ! Le seul moyen est de prendre le maquis et de développer des solutions alternatives dans les domaines politique, économique, social, environnemental, qu’on pourra dupliquer pour faire basculer le système. »

Nicolas Hazard a écrit un livre, Appel à la guérilla mondiale, préfacé par Muhammad Yunus, « banquier des pauvres » et prix Nobel de la paix 2006, où il a regroupé ses idées : combattre notre modèle ultra-productiviste en développant l’entrepreneuriat à impact (l’efficacité économique au service de l’intérêt général) et des initiatives citoyennes locales, comme à Mouans-Sartoux, une commune des Alpes-Maritimes qui a conçu sa ferme municipale. Pour ce faire, Nicolas Hazard a créé l’incubateur INCO qui
« soutient les entrepreneurs qui construisent un monde inclusif et durable ».

Sabotage ou New Deal vert ?

Mais pour trouver de « vrais » guérilleros façon Picaros du général Alcazar, il faut traverser l’Atlantique et s’intéresser à des mouvements comme Deep Green Resistance (DGR). Fondé en 2001 par Derrick Jensen – qui méprise les bourgeois écolo « aux superbes idées vertes » – et Lierre Keith, deux activistes hardcore de l’écologie, la DGR prône le démantèlement de la civilisation industrielle. Pour y parvenir, l’organisation mise sur le mouvement naturel de l’histoire – toute civilisation finit par disparaître – et, pour accélérer la chose, professe des actions de sabotage : « La perturbation des systèmes vise à identifier les points clés et les failles dans les systèmes adverses (électrique, transport, finance, etc.) et les amener à s’effondrer ou réduire leur fonctionnalité, détaille le mouvement dans la Phase III de son manifeste La Guerre économique défensive. Cela ne peut être fait en une fois. Des repérages sont effectués. La perturbation efficace des systèmes nécessite un programme pour des actions continues et coordonnées à travers le temps. » Personne ne s’étonnera que les activités des troupes de Derrick Jensen sont étroitement surveillées par le FBI.

Mais qu’ils soient soft, entrepreneurs ou prêts au sabotage, tous ces combattants verts ont un seul but : en finir avec l’ère industrielle – le concept d’écologie est apparu avec la révolution industrielle au XIXe siècle. Sage guerrier au crâne lisse et à la moustache distingué, Jeremy Rifkin, spécialiste de la prospective, a peut-être vu une nouvelle ère et propose un New Deal vert mondial dans son dernier livre : une troisième révolution industrielle basée sur l’Internet des objets. « Les principales filières économiques – TIC, télécommunications, Internet, électricité, transports, bâtiments – abandonnent les combustibles pour investir dans les énergies renouvelables ouvrant la voie à l’émergence de la troisième révolution industrielle », écrit-il. Avant d’assurer que cette transformation, déjà en cours, devra être achevée « en vingt ans, en l’espace d’une génération »

Guerilla Green d’Ophélie Damblé et Cookie Calcair (Steinkis, 2019)

Appel à la guérilla mondiale de Nicolas Hazard (Débats publics, 2019).

inco-group.co

deepgreenresistance.fr

Le New Deal Vert mondial de Jeremy Rifkin (Les Liens qui libèrent, 2019)

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