Ma nuit avec Joey Starr

Après ses trois dates à Bercy, qui ont marqué le retour tant attendu de Suprême NTM, le rappeur-producteur-acteur à la voix de jaguar sera en tournée pour déclamer des extraits de textes de Robespierre, Malraux, Simone Veil… Une nuit n’était pas de trop pour l’écouter nous raconter tout ça.

 

 

Olivia de Buhren

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La soirée commence mal. Je pensais l’emmener au Bouillon Pigalle pour nous régaler d’une bonne blanquette de veau, mais, arrivée au Buddha-Bar Hotel où nous avions rendez-vous, je constate que Joey est malade. On se retrouve au lounge, à manger des cacahuètes et boire du rhum ! Bon, en même temps, je suis quand même avec Joey Starr. Rien n’est donc perdu !

Joey Starr : Je suis malade. Je n’ai pas faim. On boit et on reste dans la chambre ?

Olivia de Buhren : Ça commence fort ! Je sens qu’on va passer une sacrée soirée… Je te propose de nous dénicher un petit coin tranquille au bar. Ça va te plaire. Allez, viens !

JS : D’accord, mais on emmène la bouteille de rhum avec nous.

OB : Que se passe-t-il si je refuse de boire ?

JS : Rien, tu vas juste être chiante.

OB : J’ai plein de questions à te poser. On commence tout de suite ?

JS : Je t’écoute.

OB : Tu as dit oui pour lire les textes politiques Éloquence à l’assemblée parce que ça ajoute une corde à ton arc ?

 

« J'aime l'accident, la routine tue. »

JS : Pas faux. C’est une proposition que Jérémie Lippmann et Pierre Grillet m’ont faite. Pierre Grillet a revisité les textes de tous ces gens, Malraux, Robespierre, Hugo, Lamartine, l’abbé Grégoire, Aimé Césaire… Il a eu l’idée de faire un « courant d’éloquence ». Ils sont venus me voir et ils m’ont dit, voilà, on cherche un tribun, un mec qui a de la gouaille. On a pensé à toi.

OB : Tu t’y attendais ?

JS : Pas du tout. Mais tu sais, j’aime l’accident, la routine tue. Je me suis retrouvé à faire du cinéma en disant oui comme ça, de manière un peu tranquille, et, tout d’un coup, j’ai été propulsé dans quelque chose de fou. Les deux fois où j’ai dit oui à Maïwenn, j’ai été nominé aux César. Ça fait 25 ans que je fais de la musique, j’ai envie de tenter des trucs, de m’éclater…

OB : T’es plutôt curieux comme garçon ?

JS : Ouais, on dit de moi que je suis boulimique. C’est vrai, j’aime faire plein de choses en même temps. Ça me botte !

OB : Et le fait de monter sur les planches ?

JS : Ce n’est pas la première fois qu’on me propose de me produire dans un théâtre, mais, cette fois, ça m’a parlé. Je me suis dit, je veux en être.

OB : Comment as-tu réagi quand tu as lu les textes ?

JS : Ça m’a retourné et j’ai répondu oui tout de suite. Après coup, j’ai flippé parce que je me suis dit : « Mec, tu vas monter sur scène tout seul. » Chose que je ne n’avais jamais faite.

OB : Qu’est-ce qui a été le plus compliqué ?

JS : La lecture à haute voix, c’est balaise. Je ne m’y attendais pas. Les deux premiers jours, j’avais l’impression de ne pas savoir lire.

OB : Et après, ça a été mieux ?

JS : J’ai acheté des lunettes… Si je lisais comme une savate, c’était aussi en grande partie parce que je n’y voyais rien…

OB : Tu es un gros trouillard, en réalité.

JS : Franchement, j’avais grave les boules. Tu sais, je suis habitué à avoir une équipe de musiciens sur scène avec moi. Là, j’étais à poil. Le premier soir, émotionnellement, j’étais par terre. J’ai chialé. Le texte, l’émotion. La dernière phrase de Malraux dit : « Les peuples veulent de la culture. Nous, Français, nous allons tenter cette aventure. » On finit là-dessus. J’adore cette phrase. C’est lui qui a inventé le ministère de la Culture et il n’avait pas son baccalauréat. Ça, ça me touche, ça me fait chialer.

OB : Mais tu les connaissais tous ces auteurs ?

JS : Ben, j’ai été à l’école. Je connaissais Hugo. Je savais qui était Jaurès et Robespierre. Et aussi Simone Veil… Mais ça s’arrêtait là.

OB : Tu lis beaucoup ?

JS : Non, mais au-delà de ça, avec ma musique, avec NTM, on a toujours fait des choses à caractère social. Je m’intéresse à ce qui se passe autour de moi. Tu vois, ce qui est fou, c’est que tu as un texte de Lamartine qui s’appelle Le Système et le Vice. Eh bien, ce qui est décrit, c’est exactement l’affaire Fillon. On t’expliquait déjà, en 1843, que le privé prenait le pas sur le public. La nature humaine reste la même. Je me suis rendu compte que la Révolution française représentait les prémices du libéralisme.

 

« Au cinéma, mon désir ultime serait de jouer un unijambiste roux, transexuel et borgne. »

OB : Que refuserais-tu de faire ?

JS : Je n’ai pas cette lecture de moi-même, je suis capable de tout et de rien. En fait, j’aime avant tout m’amuser. J’ai une lecture très simple et très sobre de tout. Au cinéma, mon désir ultime serait de jouer un unijambiste roux, transsexuel et borgne.

OB : Qu’est-ce qui t’amuse ?

JS : J’adore qu’on me propose de nouveaux projets. Je n’ai pas l’impression de bosser. Ma première réaction, quand ils m’ont proposé Éloquence à l’assemblée, a été de répondre : « C’est quoi l’adresse de votre dealer ? »
Rassure-toi, je me réfugie souvent dans l’humour, mais je suis flatté qu’on vienne me voir.

OB : Un projet qu’on ne t’a pas proposé et que tu aurais adoré faire ?

JS : La pièce de théâtre Race de David Mamet. Yvan Attal joue le mec qui s’est fait serrer aux States dans un hôtel. Comment s’appelle-t-il déjà, le type ?
BLK, un truc comme ça, non ?

OB : Tu es encore plus bourré que moi, là. C’est DSK !

JS : Je suis dégoûté d’être malade, je cherche mes mots.

OB : Tu te considères comme un jouisseur ?

JS : Je suis très égoïste, je pense d’abord à moi. Je m’éclate. Mais, dans la vie de tous les jours, je ne vis pas dans l’œil de l’autre. Je suis dans le partage. D’ailleurs, tu veux un coup de grog avec du rhum ? Il est tiède, mais il est bon.

OB : Ok.

JS : On est dans le partage des miasmes.

OB : Je vais demander des cacahuètes. Qu’est-ce qui te fait le plus kiffer quand tu es sur scène ?

JS : La sensation de palper l’infini. J’ai la chance d’être bien entouré, d’avoir des gars autour de moi qui aiment le clash, qui aiment la guerre. On y va tous à fond. On aime le conflit.

OB : Il y a une certaine dualité dans ton image. Le mec que j’ai en face de moi, ce soir, ce n’est pas le connard qui fait peur.

JS : Hé, attention, fillette ! On se connaissait déjà, et souviens-toi que ce soir, je suis amoindri…

OB : Tu aimes bien qu’on ait un peu peur de toi, c’est ça ?

JS : Non, mais c’est une attitude que j’ai souvent. Je pense que ça vient de mon adolescence. La journée, j’avais ma vie avec mon père et, le soir, dès qu’il dormait, je me barrais faire des graffs. Du coup, cette dualité est née de cette période. En fait, je ne cherche pas à montrer un truc, je me protège juste.

OB : D’ailleurs, je trouve que, depuis quelques années, ton image évolue.

JS : Je ne cherche pas spécialement à la faire évoluer, mais, en faisant certains choix, c’est vrai que les retours que j’ai de ma « clientèle » de base sont chauds. Les mecs, ils ne comprennent pas, je passe pour un vendu alors que mon rôle ultime, c’est de sortir de Joey Starr et de NTM… Je veux faire autre chose. Longtemps, on a été des haut-parleurs de la banlieue. À l’époque, on était rock’n’roll. On montait sur les toits, on était tout dégueulasse. On était dans la vérité, pas dans la provocation. On nous a taxés de ci, de ça, mais personne ne nous a aidés, nous. Nous avons appris tout seuls. On n’a jamais été dans une posture de bandit. On a eu une mauvaise lecture de nous. Mais aujourd’hui, j’ai 50 piges, le monde a changé.

OB : Tu as 50 ans ?

JS : Oui, je suis né en 67.

OB : Tu ne fais pas ton âge…

JS : Ouais, j’ai l’air d’un mec qui a piscine, un prépubère !

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OB : La semaine prochaine, les 8, 9 et 10 mars, tu seras sur la scène de l’AccorHotel Arena Paris, avec Kool Shen. Bercy, dis donc, tu dois être sacrément fier ! (L’interview a été réalisé quelques jours avant les concerts, NDLR.)

JS : 30 000 places de vendues en seulement neuf minutes ! On est le seul groupe de rap français qui fait trois soirs à Bercy. Quand les gonzesses de Bercy me reçoivent, elles me disent : « Il y a les Stones, Madonna… et vous ! »

OB : Pourquoi tu y vas ?

JS : Pour m’amuser, bien sûr, et puis on est encore dans le challenge. On va se donner comme des malades. Sinon, nous n’irions pas.

OB : Quand tu montes sur scène, tu te dis quoi ?

JS : On va aller dégourdir les jambes de mamie.

OB : Quel est le compliment qui te dérange ?

JS : Je ne sais pas recevoir de compliment ni de cadeau. Je suis très mal à l’aise avec ça.

OB : Tu rougis, là ?

JS : Avec mon teint de moricaud, je rougis très peu, haha !

OB : Un reproche ou une critique qui t’a touché ?

JS : Les gens ont toujours du mal à me faire des reproches. C’est assez pénible. Ils n’osent pas. Ils prennent des gants.

OB : Es-tu un épicurien ?

JS : Ouais, carrément. Je crois que ça vient d’une certaine privation que j’ai dû avoir étant jeune. J’ai toujours envie de ne rien rater.

 

« Je suis dans le charme tout le temps. Je suis à l'école du râteau. »

OB : Ton leitmotiv sur Instagram m’amuse : #jemangejemangeetjebois.

JS : Trois ou quatre repas par jour, c’est un minimum pour moi. Je mange et je bois énormément. Rien que d’apercevoir une vache dans un pré, ça me donne faim. Je suis hyperactif, donc je peux me faire plusieurs restos de suite en une même soirée.

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OB : Aimer manger, d’accord, mais est-ce que tu cuisines au moins ?

JS : Paraît-il que je fais bien la cuisine du pauvre. Tu me donnes un bout de bois et une patate et je te sors un truc du tonnerre.

OB : Tu cuisines aussi pour tes enfants ?

JS : Le peu de fois où je les ai avec moi, oui, je m’y colle. Mon frigo est toujours plein, donc j’invente.

OB : Qui fait le marché chez toi ?

JS : T’es de la police ou quoi ? Oui, c’est moi. Avec un caddie, même !

OB : Tu es sensible aux produits bios ?

JS : Non, rien à foutre.

OB : Es-tu pote avec de grands chefs ?

JS : Pas vraiment, à part Yves Camdeborde. J’adore la cuisine du Sud-Ouest. Je vais souvent dans son resto, dans le VIe arrondissement (l’Avant Comptoir, 3, carrefour de l’Odéon, hotel-paris-relais-saint-germain.com), ou sinon aux Papilles (39, rue Gay-Lussac, lespapillesparis.fr).

OB : Tu dragues ou on te drague ?

JS : C’est moi qui drague, mais je suis assez mauvais. En fait, je suis dans le charme tout le temps. Je suis de l’école du râteau.

OB : Tu te prends des râteaux, toi ?

JS : Oui, je te jure. Je ne me sens pas irrésistible. Ce qui marche à peu près, c’est quand je fais le petit chat. Mais quand je drague vraiment, j’ai l’impression d’être ridicule. Et dis donc, toi, t’as couché avec les Boches ou quoi ? Tu n’as plus rien à boire ? M’sieur, s’il vous plaît, encore deux rhums agricoles bruns !

OB : Quel serait le casting idéal d’un dîner improbable chez toi ?

JS : J’inviterais Peggy (la photographe qui nous accompagne pour l’interview, NDLR), Béatrice (Dalle), Benchetrit (Samuel), Gérard (Depardieu), Stéphane Carella (un ancien rugbyman), Ramzy Bedia… Je crois que j’inviterais des gens qui aiment l’ivresse. J’inviterais aussi mes frères, et ma mère en fin de dîner. Je pense qu’on serait beaucoup, sans l’être.

OB : Et vous fêteriez quoi ?

JS : La vie !

OB : Qu’est-ce que tu préparerais comme plat ?

JS : Un bon cassoulet et je mettrais Gérard en cuisine, à poil sous une djellaba.

OB : Et moi, tu m’inviterais ?

JS : Bien sûr !

La conversation a encore été très longue. Je ne peux pas tout retranscrire, sinon ça ferait vingt pages. Ce qui est sûr, c’est que je suis rentrée à 2h30 du matin, au moment où la suite 202 du Buddha-Bar Hotel, où l’on est remonté pour finir la soirée, était pleine à ras bord de copains de Joey.

 

Allez donc voir Éloquence à l’assemblée de Pierre Grillet et Jérémie Lippmann, mise en scène de Jérémie Lippmann, avec Joey Starr. En tournée dans toute la France.

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