La Plénitude des formes et des goûts au Cheval Blanc Paris

Par le choix du nom, de la cuisine et des arts de la table qu’il convoque, installé au premier étage de la Samaritaine, le restaurant gastronomique du chef étoilé Arnaud Donckele exprime toute la philosophie de l’hôtel Cheval Blanc: la Plénitude.

Judith Spinoza

Plénitude : « État de ce qui est complet, dans toute sa force. » La définition en est simple, sa mise en œuvre, à l’image exacte (après Courchevel, Randheli, Saint-Barth et Saint-Tropez) du nouvel hôtel 5 étoiles Cheval Blanc mis en scène par Peter Marino. Un art total qui rassemble plus de 600 artistes et artisans et qui trouve son acmé dans le restaurant gastronomique d’Arnaud Donckele.

Oui, on aurait pu dire « luxe, calme et volupté », mais c’eut été trop cliché. Trop pauvre. Sans goût et sans saveur. Selon les vœux du quadragénaire normand élu «meilleur chef du monde» en 2019, officiant parallèlement à la Vague d’Or à Saint-Tropez, ce qui prime, c’est l’émotion. Une apesanteur aux contours de vérité sensorielle. L’idée d’une bulle qui ponctue d’ailleurs le logo du nom de cette salle en demi cercle délimitée par un époustouflant mur en onyx prolongé par une galerie des vins conduisant au fumoir.

Plénitude est un giron intimiste pensé comme une pause dans le tumulte parisien. Un lieu lumineux à fleur de Seine abritant une dizaine de tables qui bénéficient toutes d’une vue sur le Pont-Neuf et la Conciergerie. C’est donc « sur Seine, côté cœur », dans le « bureau du chef », une petite pièce secrète aux allures de wagon de train annexée au ventre fécond des cuisines, que nous reçoit l’apôtre du goût de l’essentiel.

Quelle a été votre première projection créative en apprenant votre nomination comme chef du restaurant gastronomique Cheval Blanc Paris ?

Après avoir fait le point avec mes deux chefs de Saint-Tropez – Augustin de Marjorie et Bertrand Noeureuil – pour savoir lequel voudrait s’engager dans cette aventure parisienne, j’ai réfléchi à ce que je voudrais proposer. Je me suis dit qu’il fallait que j’explique ma passion, ma vraie passion, qui est plus saucière que cuisinière. Je suis convaincu que l’émotion passe par les sauces que je construis comme des parfums, des accords charnels. C’est sur ce supplément d’âme que je veux mettre le curseur.

Selon votre expression, vous voulez être une « table d’émotion » ?

Être une table d’émotions, mais pas une table démonstrative. Je ne cherche pas la perfection. J’ai le sentiment que la perfection est sans âme, presque une chose vulgaire, alors qu’il n’y a rien de plus beau que l’imperfection.

Qu’est ce que l’imperfection signifie concrètement dans un plat ?

Un plat en sauce n’est pas forcément le plus élégant mais il peut être le plus envoûtant. La sauce est une caresse.

C’est vous qui avez choisi le nom Plénitude et un logo avec des bulles… Comment vous est-il venu à l’esprit ?

Il fait référence au « P » des champagnes P2 et P3 de Dom Pérignon. Un soir, très tard, Richard Geoffroy, ancien chef de caves de Dom Pérignon, m’a expliqué que ce « P » signifiait plénitude. En vieillissant, les champagnes de 20 ou 30 ans atteignent un équilibre parfait. C’est à cette évidence de goût, à cette justesse, à cet équilibre que j’ai voulu me référer. Ici, on n’est pas là pour dire « ça m’a percuté » mais « qu’est ce que c’est bon » ! Épater les gens ne m’intéresse pas. Je ne cuisine pas pour moi. Je veux donner du plaisir.

Si « un plat est avant tout une construction d’émotions », qu’en est-il pour ce lieu dont vous venez de prendre les rennes ?

Cet espace offre une plénitude géographique : nous sommes au premier
étage, on ne voit pas les voitures, mais la Seine, le pont Neuf et ses flâneurs. On aperçoit la pointe de la place Dauphine et la Conciergerie quand les feuilles des arbres tombent.

L’idée de plénitude est l’essence des hôtels Cheval Blanc et tout particulièrement de cette maison urbaine parisienne installée «Sur Seine, côté cœur »…

Cheval Blanc est issu du resort autour de l’idée d’apporter une pause,
une énergie positive dans un cocon, tout en offrant une carte postale
parisienne. Dans le restaurant gastronomique, nous avons cherché
à offrir ce même ralentissement. Plénitude Cheval Blanc est comme
une sauce qui enveloppe.

Quelle est la table qui vous invite le mieux à goûter ce sentiment ?

La plénitude ce sont les tables de deux, surélevées sur l’estrade !

La plénitude, c’est aussi l’idée d’harmonie entre tous les éléments du restaurant, des aliments jusqu’aux arts de la table et passant par la décoration. Vous vous êtes investi pendant deux ans et demi dans le choix des artisans, des matières et des motifs…

Deux ans et demi pour chiner avec Bertrand, rencontrer les artisans. On voulait absolument éviter des influences asiatiques ou nordistes et privilégier la créativité de la capitale. Or, qu’est ce qu’il y a à Paris ? Il y a la poterie d’Olga à côté d’Argenteuil, la porcelaine de Sylvie Coquet en dessous de Limoges. Il y a les brocantes qu’on a couru pour trouver de l’argenterie, des verres ou des pièces anciennes de la Samaritaine.

En somme, vous avez réuni les arts et les temps ?

Oui ! La première chose qu’on pose sur la table, c’est par exemple une vieille soupière. On présente également les mignardises sur une pelle 1900. Parallèlement, on a retrouvé de vieilles assiettes de 1910 à partir desquelles on a imaginé une vaisselle contemporaine.

Comment allie-t-on audace et plénitude, en d’autres termes, comment donnez-vous du relief à la plénitude de la carte que vous avez imaginée ?

Avec notre parti pris sur les sauces, à la fois modernes et réconfortantes, nous proposons une évidence de goût. On demande d’abord à nos invités de goûter les sauces afin qu’ils comprennent que le turbot dans leur assiette n’est qu’un condiment !

Quel seraient les associations le plus en rapport avec l’harmonie et la plénitude que vous défendez ?

La sauce berlugan, à base d’une variété de mandarines qui m’a ouvert le chemin de la réflexion sur les sauces dès 2008, associée à une chair de tourteau ou à des poissons de rivière. J’ai envie que les produits et les matières soient une carte postale de notre pays. Pour moi, le panier de Paris, c’est la France. On parle de locavore, je pense qu’on devrait parler de nationalovore. Je suis persuadé qu’avec la mondialisation, une capitale doit être la carte postale de la nation. On a un agneau du Mont Saint-Michel et un de Belle-Île, des légumes – tomates ou haricots poussin – que je rapporte tous les mercredis de Saint-Tropez ou encore les laits et les farines de Normandie.

D’ailleurs, vous avez imaginé une touche normande et très personnelle inspirée du vaisselier de votre grand mère – une cave à fromages…

J’ai été élevé par mes grands parents dans une ferme qui ouvrait ses portes tous les samedis au village. Ma grand-mère disposait les fromages et les œufs, les pommes et le beurre, des brocs de lait dans les étagères d’un vieux vaisselier. Aujourd’hui, nos clients découvrent cette pièce à la fin du dîner. On l’ouvre au moment où la première table passe au fromage et se sert dans des assiettes d’époque estampillées la Samaritaine.

Citez-moi trois moments de plénitude ?

L’apaisement de mes enfants. Ils sont plus là pour moi que pour eux. Hier soir, mon fils de 19 ans qui m’a pris dans ses bras m’a apporté la plénitude de la journée. En tant que chef, la magie familiale des équipes autour de moi. Cheval Blanc Saint-Tropez et Paris, en haut et en bas qui sont en harmonie. On se challenge mutuellement et je suis la passerelle de ce challenge. L’harmonie entre la salle et la cuisine. Le bonheur de voir les clients fortement très émus. Vous vous couchez le soir avec le sentiment d’avoir rendu les gens heureux.

L’idée d’harmonie est directement inspirée de vos parents…

Mes parents étaient charcutiers. Mon père, que ma mère et tous les salariés surnommaient « biquette », était passionné mais très maniaque ! Quand il coupait une terrine, il faisait de petits bâtons avec des linges pour que ce soit toujours propre. Quand il râlait contre des employés, ma mère lui disait « Biquette, arrête ! Pendant que tu embêtes mes petites danseuses pour tes histoires de découpe, elles font la tête pendant quatre jours, les clients sont moins heureux et ton pâté, beaucoup moins bon ! » J’ai retenu cette leçon. Donc, pour que tout soit bon, tout doit être aligné.


Plénitude, Hôtel Cheval Blanc Paris, 8 quai du Louvre, 75001 Paris. Tel : 01 40 28 00 00. chevalblanc.com

Lire aussi : Les restos de l’automne

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