Les Trigano, serial entrepreneurs

Comment les héritiers du Club Med ont rebondi avec succès dans l’hôtellerie urbaine branchée.

Tristan François

Il a passé l’été, entouré des siens, dans sa maison de l’île de Paros en Grèce. Un été comme il les aime dans le décor idyllique des Cyclades, mais pas tout à fait semblable aux précédents. Début juillet, Serge Trigano, 75 ans, a en effet tourné une nouvelle page de sa vie d’entrepreneur avec la cession au groupe Accor des dernières actions que lui et ses fils, Benjamin et Jérémie, détenaient dans les hôtels urbains Mama Shelter. 13 ans après avoir l’avoir lancée. L’ancien, patron du Club Méditerranée est donc à nouveau un homme libre.

Et pas question de songer à la retraite. Au contraire, il réfléchit déjà à de nouveaux projets pour donner une suite à la saga familiale entamée par son père dans les années cinquante. Son allure de patriarche paisible cache une vraie nature de combattant des affaires. La preuve ? Il a déjà su rebondir après sa sortie douloureuse de la plus grande entreprise de vacances française. Il avait naturellement succédé à Gilbert Trigano, mais les nouveaux actionnaires italiens l’avaient violemment débarqué en 1997 au sortir d’une bataille violente pour la prise de contrôle du Club.

Du Club Med à Mama Shelter

Dix ans après – dix ans tout de même, cela donne une indication des difficultés qu’il a rencontrées pour rebondir –, il avait refait surface dans le secteur ultra concurrentiel de l’hôtellerie avec la création d’un concept aussi innovant qu’osé. Modernes, confortables, festifs et abordables, les Mama Shelter ne ressemblent à aucun concept existant. Leur succès est grandissant. Quatorze sont déjà ouverts en France et dans le monde, de Paris à Los Angeles en passant par Bordeaux, Prague et Rome et Rio, une dizaine sont sur le point de l’être à Lisbonne ou à Dubaï par exemple. Flash-back sur une saga familiale sans équivalent.

En février 1997, Serge Trigano apprend qu’il est éjecté du poste de patron opérationnel du Club Med. Il raconte, de façon inédite dans le monde patronal, tous les détails de cet épisode douloureux dans son autobiographie, « Trigano Loves you » (Albin Michel). Il ne s’attend pas à cette éviction. Le traumatisme est fort, il déprime pendant de longues semaines. « Je perds mes repères, mes contacts, mes soi-disant amis, nous raconte-t-il. J’ai certes reçu un package financier en quittant l’entreprise, mais il ne suffit pas pour tenir jusqu’à la fin de mes jours et je ne veux pas arrêter de travailler. Je broie du noir ».

Deux rencontres vont le mettre sur la bonne piste après qu’il ait d’abord réfléchi à lancer un nouveau concept de « resort » de vacances à Marrakech. Il se lie d’abord avec l’urbaniste Cyril Aouizerate, spécialiste de la réhabilitation des villes ; avant de retrouver le designer Philippe Starck. « C’est un génie exceptionnel que j’avais déjà contacté lorsque j’étais au club, explique-t-il. Il me dit immédiatement qu’il veut continuer de travailler avec la famille Trigano. C’est ce qui m’a redonné espoir. » Un vrai remède anti-déprime. « Cela prouve que rien n’est jamais complètement paumé, poursuit-il. Le processus de création que nous avons enclenché m’a fait sortir de la sinistrose ».

Une affaire de famille

Serge y associe d’emblée ses deux fils, Jérémie et Benjamin, alors respectivement âgés de 20 et 27 ans. Chez les Trigano, Gilbert le père fondateur du Club a ouvert la voie, on entreprend toujours en famille. L’audace du projet captive la petite équipe renforcée par l’architecte Roland Castro et le chef triple étoilé Alain Senderens. Du beau monde pour faire sortir de terre, après sept années d’efforts pour trouver des financements et obtenir toutes les autorisations, le premier Mama Shelter. Le lieu choisi, un vieux parking taggué situé dans l’est de Paris près de la Porte de Bagnolet, livré aux trafics de drogue et à la prostitution, est improbable.

On est loin des lieux d’affaires et des sites de tourisme de la capitale. C’est ce qui va faire sa force. Dès l’ouverture, en 2008, les clients se précipitent vers son rooftop et ses espaces de restauration chaleureux et conviviaux. On y retrouve clairement un lien avec la culture Club Med. Ce choix est plus que payant : aujourd’hui, plus de 50 % des recettes des Mama Shelter ne proviennent pas des chambres.

« C’était novateur, parce qu’on proposait du design de Starck dans un quartier populaire, des chambres abordables à 69 euros, et, surtout, de la restauration, appuie Serge Trigano. Avant l’arrivée du Mama, on allait dans un hôtel seulement pour y dormir. Là, on vient aussi pour prendre un verre, assister à un concert de musique ou faire la fête. Venant du monde du Club, on a cassé les codes du monde de l’hôtellerie. C’est pour cette raison que l’on a également embauché des gens plus sur leurs qualités de cœur que sur leurs diplômes. »

Déploiement à l’international

Après ce lancement réussi, les Trigano décident de déployer leur concept dans plusieurs villes. En France d’abord, puis dans d’autres pays. L’affaire marche bien, mais cette croissance mobilise de gros moyens financiers. Ils décident donc de s’adosser au géant français du secteur Accor piloté par Sébastien Bazin. Ce dernier cherche justement à se diversifier dans des marques tendance de city-hôtels. « Nous avons dîné avec lui, il y a six ans, se souvient Serge Trigano. Il venait de prendre son poste et nous a expliqué qu’il voulait sortir des marques classiques comme Mercure, Novotel ou Ibis. Pour nous, c’était un moyen de rester dans un marché du lifestyle ; vers lequel toutes les grandes chaînes comme Marriott et Hilton investissaient. On risquait d’être marginalisés. »

Les premières années, Accor s’est contenté d’accompagner les Trigano, les laissant opérer en complète autonomie. Jusqu’à l’opération du début de l’été et la prise de contrôle à 100%. Que vont-ils faire maintenant ? « Mes fils sont heureux de démarrer d’autres choses, assure leur père. Nous travaillons sur deux projets qui bousculent les codes de nos métiers : repenser une nouvelle hôtellerie économique et ré-imaginer des maisons de retraite un peu moins tristes ; un peu plus gaies que ce qui existe aujourd’hui. Nous avons fait des études de marché qui montrent que les gens aimeraient trouver un esprit plus Club Med dans ces établissements ! » La petite entreprise n’a pas dit son dernier mot.

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