Envisageons notre monde différemment

La crise du Covid-19 nous a incités à voir les choses d’une autre manière. Cependant ce virus nous aidera-t-il à mieux trier nos déchets ou à renoncer aux avions pour partir en vacances ? Les enjeux sont ailleurs, explique Dorothée Marchand, chercheur en psychologie environnementale au Centre scientifique et technique du bâtiment.

 

Raphaël Turcat

Quelques semaines plus tard, comment analysez-vous les conséquences psychologiques de la crise du Covid-19 ?

En premier lieu, il a inscrit nombre de personnes dans un état de sidération. La peur s’est installée pour de multiples raisons : l’évocation d’un état de guerre par le chef de l’État, la crainte d’attraper le virus et de contaminer les autres, la peur des conséquences économiques, etc. À ces angoisses se sont ajoutées de fortes contraintes vécues de façon plus ou moins stressante : la scolarisation à la maison, la réduction, voire l’absence, des contacts sociaux, l’obligation ou la nécessité de continuer à se rendre sur son lieu de travail, les transports en commun…

Pour d’autres, le confinement a été l’occasion de se réapproprier leur ville, soudain devenue très calme. Ces deux mois peuvent-ils donner des indices sur la vie future ?

Oui, pour une catégorie de personnes, le confinement a permis une mise à distance d’un ensemble de facteurs de stress. Ainsi des citadins ont-ils pu apprécier le calme et les ambiances sonores naturelles, observer les arbres et des animaux dans les rues, respirer les odeurs printanières, jardiner, etc. Ces expériences ont conduit certains à remettre en cause leur mode de vie et même leur lieu de vie. Cela s’accompagne de la volonté d’une « vie d’après » qui prenne davantage en compte la protection de l’environnement, les changements de comportements, la qualité de vie.

La ville du futur peut-elle être plus poétique ?

Elle doit l’être en tout cas, et pensée pour favoriser la qualité de vie. Avec ma consœur urbaniste Émeline Bailly, nous avons publié en 2019 un ouvrage dans lequel nous défendons, avec des chercheurs, ingénieurs et artistes, cette vision de la qualité de la vie en ville (1). Cette année, nous avons publié un autre ouvrage, avec Émeline Bailly et Alain Maugard, sur la biodiversité urbaine dans lequel nous défendons une ville qui doit renouer avec le vivant (2). Les villes sont congestionnées, leur environnement ne cesse de se dégrader et d’être perçu comme tel. L’enjeu est lié au bien-être et au désir de vivre en ville, mais, au-delà, il s’agit aussi d’adapter les villes aux changements climatiques.

Donnez-nous un exemple concret…

Prenons la Camargue, un territoire considéré comme un patrimoine naturel sous la menace de la montée des eaux. L’une des réponses consiste à ajouter des digues pour freiner le phénomène. Mais certains spécialistes estiment que, face à un combat perdu d’avance, l’engloutissement de certaines portions du territoire ferait partie de l’évolution naturelle du site. Le responsable Énergie Climat et Architecture à la Fédération des parcs naturels régionaux de France défend cette thèse, estimant que les Camarguais en tireraient même certains bénéfices. Cela encouragerait une diversification du milieu, créerait de nouveaux habitats pour la faune et la flore, offrirait de nouvelles perspectives en matière de pêche.

La psychologie environnementale prend-elle tout son sens avec la crise que nous venons de vivre ?

La psychologie environnementale avait déjà tout son sens avant. Mais le confinement nous a rappelé que nous faisons partie du monde et qu’il faut changer de paradigme dans notre façon d’y vivre. Pour amorcer ce changement, les psychologues environnementaux étudient comment se structurent nos représentations de la nature et des imaginaires qui lui sont liés. Les psychologues environnementaux s’y emploient. On connaît mieux les représentations liées à des éléments naturels spécifiques – l’eau, la mer, la terre, les montagnes, l’air, les arbres, le ciel, les ours polaires, etc. – que celles liées à une appréhension globale de la nature. Celle-ci doit être envisagée comme un tout – « one nature ». Il importe de dépasser nos catégories de pensée qui opposent le naturel au construit, la ville à la campagne, l’urbain au rural, pour imaginer de nouveaux équilibres propices à la biodiversité. La survie de l’humanité en dépend.

1. Penser la qualité : la ville résiliente et sensible, sous la direction d’Émeline Bailly et Dorothée Marchand, Éditions Mardaga, 2019.

2. Biodiversité urbaine, pour une ville vivante, d’Émeline Bailly, Dorothée Marchand et Alain Maugard, Éditions PC, 2020.

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