Gilles Lellouche, un artiste au franc-parler

Comédien multifacette, il ne cesse de nous surprendre dans des rôles toujours plus différents les uns que les autres. Aujourd’hui, il est François Mercier, un apprenti bijoutier des années 40 qui reprend le commerce de son patron Monsieur Haffmann (interprété par Daniel Auteuil). Ce dernier compte partir retrouver sa famille en zone libre. Face à lui, Gilles Lellouche sonne juste. Il a ce petit quelque chose qui nous touche. Il est sensible, ça se sent et il le joue bien. Rencontre avec un grand acteur.

Olivia de Buhren

Ce lundi matin, j’ai rendez-vous sur l’île Saint-Louis avec Gilles Lellouche dans sa cantine de quartier, le bistrot Le Flore en L’Île. L’homme est à l’image du personnage public : sympathique, sans faux-semblant, souriant et heureux de discuter avec nous de son nouveau film. Il commande un café, puis deux. Nous échangeons. J’apprécie sa compagnie et son authenticité. Il me surprend parfois dans ses réponses. En tout cas, il casse les codes. C’est un comédien tout-terrain.

Nous vous retrouvons toujours dans des rôles très différents, est-ce une volonté ?

Oui, c’est le but ultime de tout comédien. L’idée, c’est de choisir ses projets. J’ai une véritable soif de découverte. En travaillant avec plusieurs réalisateurs, je peux me mettre en danger en endossant des rôles différents.

Comment avez-vous découvert votre métier ?

J’étais au collège en 5e. Mon professeur de français nous faisait étudier nos pièces de théâtre en les jouant. À l’époque, j’étais timide, de manière presque maladive… jusqu’au jour où les filles se sont mises à rire. Ça a été une sorte d’illumination artistique. Quand mon père m’a demandé vers quoi je voulais me diriger après mon baccalauréat, j’ai spontanément répondu le Cours Florent.

Quel type d’enfant étiez-vous ?

Je suis un timide contrarié. Si je me retrouve dans une pièce avec beaucoup de monde et que l’on me pose une question à laquelle je ne m’attends pas, je rougis. En fait, j’ai toujours eu besoin d’être dans le contrôle pour me sentir à l’aise.

Êtes-vous fier de tout le chemin que vous avez parcouru ? De l’impressionnante filmographie que vous avez accumulée et de la bande de comédiens (Guillaume Canet, Marion Cotillard…) qui vous entoure ?

Je ne sais pas si c’est de la fierté, mais en tout cas je suis épanoui et heureux des rencontres enrichissantes que je fais chaque jour dans mon métier. Je ne pensais sincèrement pas en arriver là.

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Quelle est l’histoire du film ?

Pendant la Seconde Guerre mondiale, un bijoutier juif doit fuir et rejoindre la zone libre avec sa femme et ses enfants. En partant, il confie sa bijouterie et son appartement à un employé, François Mercier. Il se trouve que le bijoutier ne va finalement pas réussir à quitter la zone occupée et retourne vivre caché dans sa boutique. Des rapports de force s’installent entre les deux hommes qui inversent leurs rôles.

C’est votre troisième collaboration avec le réalisateur Fred Cavayé qui déclarait avoir très envie de vous faire jouer « un vrai salopard ». Qu’en pensez-vous ?

Ce tournage a été l’un des plus durs humainement de ma carrière. J’avais conscience du rôle que j’endossais et, même s’il n’est pas question de juger le personnage que l’on interprète, celui-ci m’a beaucoup coûté. C’est la première fois qu’un personnage me fait du mal !

Pourquoi avoir accepté ce rôle ?

J’ai d’abord été séduit par le script. L’histoire est complètement folle. Quand j’ai su que Daniel Auteuil a accepté le rôle, je ne me suis pas posé de questions. J’avais aussi très envie de tourner avec lui.

Le film fait-il écho à votre vie d’une manière ou d’une autre ?

D’un certain point de vue, oui. Dans le film, nous nous retrouvons face à un homme qui « avant n’avait rien, maintenant veut tout », comme il le dit. Il doit apprendre à gérer un nouveau statut et, d’une certaine manière, c’est quelque chose que j’ai vécu avec la notoriété.

La vraie nature d’un individu se révèle en situation de danger, n’est-ce pas ?

C’est juste. J’aime les films qui m’interrogent. Qu’aurions-nous fait ? Aurions-nous été résistants ou non ? Moi, je sais ce que j’aurais fait, mais, face à la peur et au danger, nous pouvons changer d’avis.

Avez-vous déjà fait des choses atroces ?

Probablement. Des petites mesquineries, des lâchetés… Heureusement d’ailleurs, c’est ce qui fait de nous des hommes.

Quelles sont vos valeurs en tant que père ?

À vrai dire, j’essaie de protéger mes enfants de la morosité et de la violence ambiante. Je les éduque surtout à la franchise et au courage.

Qu’avez-vous appris lors de ce premier tournage avec Daniel Auteuil ?

L’humilité. C’est un maître mot chez les gens qui ont un talent hors norme comme lui. Il est d’une simplicité absolue. Quand j’étais au Cours Florent, Daniel Auteuil était au sommet de sa carrière. Travailler avec lui est un honneur pour moi.

Sara Giraudeau joue un rôle très nuancé…

Sara est une très grande comédienne qui réussit avec succès à nuancer son rôle. Pour moi, elle effectue un travail d’horlogerie suisse. Certains détails sont tellement minutieux que je ne m’en suis rendu compte qu’en voyant le film.

Vous semblez vivre toutes les émotions de votre personnage.

Il faut croire en ce que l’on interprète. Je veux absolument rendre une impression de réel. Avec le temps, j’arrive de mieux en mieux à me glisser dans la peau de mes personnages et même à ressentir leurs émotions. Quand je n’y arrive pas, c’est dramatique.

Vous êtes l’un des acteurs qui a le mieux réussi de votre génération. Comment l’expliquez-vous ?

Je dirais qu’il y a beaucoup de travail, de détermination et de chance certainement. Au Cours Florent, j’étais entouré d’artistes bourrés de talent. Certains ont réussi, d’autres moins. Il suffit parfois d’une bonne rencontre, d’un premier rôle dans lequel le public vous apprécie sans que vous ne sachiez pourquoi et c’est parti.

Faut-il se méfier du succès ?

Comme de la peste. C’est un anesthésiant. Rien n’est jamais gagné, le succès d’un film ne garantit pas celui des suivants. Je ne refuse ni l’idée de l’échec ni de la mauvaise critique qui permettent d’avancer.

Adieu Monsieur Haffmann de Fred Cavayé avec Daniel Auteuil, Sara Giraudeau et Gilles Lellouche. En salle le 12 janvier 2022. Crédit photo de Une : Filip Van Roe.

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