L’intelligence artificielle au service de la RSE

Et si l’intelligence artificielle pouvait accompagner l’amélioration de la responsabilité sociale des entreprises ? Entretien avec Aurélie Jean, figure montante dans l’univers de la tech, spécialisée dans les algorithmes.

Judith Spinoza

Aurélie, vous êtes numéricienne et entrepreneuse française, spécialisée dans les algorithmes et la modélisation numérique. L’IA est-elle le meilleur atout des entreprises pour prendre en compte les enjeux environnementaux, sociaux, économiques et éthiques dans leurs activités ?

Je ne dirais pas que l’IA (intelligence artificielle) est le meilleur atout des entreprises pour améliorer leur RSE (responsabilité sociétale des entreprises). Cela étant dit, elle peut aider. Les modèles numériques permettent de mesurer en temps réel, d’anticiper des phénomènes en captant des signaux faibles, par exemple, ou tout simplement d’identifier des patterns (schémas répétitifs) qui permettent d’alimenter des connaissances sur un sujet RSE et sa progression dans le temps et l’espace. J’ai entendu pour la première fois cette phrase lors d’une conférence à New York : « On ne peut changer que ce qu’on peut mesurer. »

Qu’entendez-vous par « mesurer » ?

Mesurer peut être pris au sens large et ne doit pas se limiter à la mesure chiffrée, mais, au contraire, se voir comme une appréciation comparable. Écrit autrement, une mesure que l’on peut comparer dans le temps et à d’autres mesures. Il faut en effet mesurer la chose qu’on souhaite changer, ne serait-ce que pour s’assurer qu’elle change bien. Avant tout changement, on doit mesurer l’état de départ avec la meilleure précision. La perception sur la chose à changer à son état initial est en effet souvent déformée. Par exemple, on ne perçoit pas tous de la même manière que notre entreprise n’est pas diverse.

Pour reprendre le « on ne peut changer que ce qu’on peut mesurer », avez- vous des exemples très concrets des datas récoltées, de leur analyse et de l’utilisation vertueuse en matière de RSE ?

Je n’ai pas d’exemple concret d’application en entreprise, mais j’ai en tête les indices développés par Bloomberg pour les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), qui permettent aux entreprises de mesurer où elles en sont et comment leur politique interne influence la mesure dans le temps.

Il y a, par exemple, le Gender Equality Index, qui calcule le niveau d’engagement et de résultats d’une entreprise dans la diversité de genre. Il existe également des mesures de la consommation d’eau des entreprises en temps quasi réel. On peut suivre beaucoup de choses !

Votre start-up, In Silico Veritas, est spécialisée dans le développement analytique et numérique algorithmique. Qui fait appel à vous sur ces questions ?

Avec In Silico Veritas, je développe des stratégies data et algorithmiques pour de nombreux clients venus d’industries très diverses. Je ne m’attaque pas stricto sensu à des missions de RSE. Cela étant dit, je travaille depuis récemment en collaboration avec le cabinet The Arcane de mon amie Marion Darrieutort, qui s’intéresse de près au développement et à la mise en application de nouveaux modèles de gouvernance. La gouvernance de la data, des algorithmes et de l’IA en général en fait partie. Tout est à faire ou à réinventer.

Vraiment tout ?

Les pratiques de conception, de développement, de tests et d’usages, mais aussi de la connaissance en continu et du partage des connaissances sur ce qui est développé et utilisé, ou de ce qui est collecté. La gouvernance, c’est aussi la manière dont les équipes se coordonnent et avancent ensemble dans une cohérence technique et business alignée avec la vision de l’entreprise.

Vous préférez généralement parler de « stupidité artificielle » ou utiliser les termes de « sciences numériques » ou « sciences computationnelles » pour parler de l’IA. Entendez-vous par là que, si la data est l’un des piliers de la transformation responsable des entreprises, seule la volonté humaine peut les mettre en application et surtout, plus largement, changer les mœurs ?

J’aime en effet beaucoup ces mots du professeur Yoshua Bengio qui dit qu’on devrait parler de stupidité artificielle, car on ne rend pas l’ordinateur plus intelligent, mais on le rend moins stupide. Il a raison ! Plus sérieusement, j’utilise davantage de sciences numériques ou de modélisation numérique pour parler de cette discipline. Le poids des mots compte et, même si le mot « IA » parle à tout le monde aujourd’hui, il n’est pas compris par tous.

Pire, les gens lui associent les mythes et les fantasmes les plus dystopiques, parfois. Je ne compte plus le nombre de fois où on me demande si les machines prendront un jour le dessus sur les humains. Je réponds toujours avec précision, mais avec un peu d’humour tout de même pour détendre l’atmosphère. Je ne reproche pas aux gens de me poser cette question, au contraire, je les remercie, car cela exprime le fait qu’ils ont confiance en eux pour oser poser des questions. C’est une preuve que l’IA doit encore et toujours être démystifiée, et cela commence par le mot « IA » lui-même.

Dans une récente tribune qui a pris la forme d’une « lettre à une femme de demain », vous démontrez votre engagement sur la question de l’égalité des chances entre hommes et femmes. Pensez-vous que lutter contre la sous-représentation des femmes, notamment dans l’univers scientifique duquel vous êtes issue, soit l’un des enjeux majeurs de la RSE ?

De manière générale, la diversité et l’inclusion sont l’un des nombreux enjeux de la RSE. Ce sujet, comme tous les autres sujets RSE, est un différentiateur et un compétiteur économique pour l’entreprise en question. En plus d’apporter une dynamique de travail stimulante et une harmonie unique entre les individus, la diversité apporte un enrichissement profond des idées, des services et des produits qui naissent dans l’entreprise.

Les politiques d’inclusion permettent, quant à elles, de retenir les talents plus facilement, mais aussi d’attirer de nouveaux talents ! Là encore, je crois à la force de la mesure pour évaluer la situation de départ. Tant dans les chiffres ou les perceptions des collaborateurs que pour évaluer l’efficacité d’une politique.

Quel est l’état des lieux dans le monde scientifique ?

Dans l’univers des STEM (Science, Technology, Engineering and Mathematics), les femmes sont encore trop minoritaires, et cela impacte inévitablement la performance de l’entreprise qui resserre de facto son prisme d’observation et d’action. Construire et conduire une vraie politique de diversité de genre, bien loin de tout effet de communication, est l’une des nombreuses clés de la transformation des entreprises. Et ça démarre partout à la fois, du comité exécutif à tous les collaborateurs.

De l’autre côté de la machine : voyage d’une scientifique au pays des algorithmes, par Aurélie Jean, éditions de l’Observatoire, 18 €.

Lire aussi : Comment LVMH se mobilise pour l’environnement

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