Vous êtes passé d’un grand groupe de luxe (Richemont, qui détient, entre autres marques, Baume & Mercier et Piaget) au rachat de Poiray, avant de lancer une griffe agitatrice… Comment vous est venue l’idée de fonder Courbet en 2018 ?
L’idée a germé quand l’un de mes fournisseurs, qui travaille depuis trois générations avec la place Vendôme, m’a présenté un diamant de synthèse. Il m’a dit : « C’est l’avenir. » À partir du moment où il existait, il fallait l’employer. Néanmoins, c’est l’arrivée de Marie-Ann Wachtmeister, l’autre cofondatrice de la marque et la garante du beau, qui m’a poussé à sauter le pas pour créer Courbet.
Courbet, c’est l’alliance du diamant de synthèse et de l’or recyclé. D’où vient cet or ?
En réalité, il y a plus d’or « au-dessus » qu’en dessous de la terre ! L’or que nous utilisons vient de téléphones portables, d’ordinateurs et de cartes graphiques. Aller chercher de l’or qui vient de la tech est très cohérent puisque Courbet est un savant mélange de technologie, d’artisanat et d’écologie.
Il y a l’écologie, mais aussi l’éthique…
Tout à fait. En parallèle de l’or recyclé, des diamants de synthèse, des packagings recyclés, nous avons lancé en 2019 Let’s Commit, une collection éthique et solidaire, en partenariat avec six associations écologiques.
Comment le labo avec lequel vous travaillez réussit-il à reproduire les conditions de formation des diamants ?
En quelque sorte, le génie humain reproduit en laboratoire le génie de la nature. Le diamant est du carbone emprisonné depuis des millions d’années sous du magma terrestre. Soumis, dans les entrailles de notre planète, à de très hautes températures et d’intenses pressions, il se cristallise pour devenir le diamant brut que l’on connaît, mais qui met des milliards d’années à remonter jusqu’à la surface de la Terre. En labo, on fait la même chose : en les soumettant à de hautes températures, les atomes de carbone se cristallisent et produisent un diamant brut. Comme dans la nature, ce diamant brut peut être très beau… ou très laid.
Combien de diamants produisez-vous annuellement ?
Courbet produit plusieurs milliers de carats par an.
Existe-t-il beaucoup d’usines de diamants de synthèse dans le monde ?
Une vingtaine en tout. Courbet travaille avec la start-up Diam Concept. On les aide à créer le premier laboratoire de diamant en France. Imaginez-vous, ce serait la première source d’approvisionnement 100 % française…
Dans quel pays le diamant de synthèse est-il très utilisé ?
Aux États-Unis, qui est d’ailleurs à l’origine de la technologie. D’une part, à cause de leur esprit pragmatique – c’est moins cher et plus écolo –, d’autre part, parce que les Américains n’ont pas peur de la tech. Du reste, les États-Unis sont plus un marché de produits que de marques et, surtout, ils sont le premier marché de diamants au monde.
Vous parlez d’économies de coût. Pourquoi un diamant de laboratoire est-il entre 40 % et 50 % moins cher qu’un diamant « naturel » ?
En réalité, produire un diamant en laboratoire est trois fois plus coûteux que de l’extraire d’une mine. L’économie se fait sur les intermédiaires, nombreux quand il s’agit des diamants de mine, mais quasi nuls concernant les diamants de synthèse.
En termes de chiffres, que donne le match diamant de mine vs diamant de labo ?
L’an passé, 150 millions de carats ont été extraits des mines, contre quatre millions de carats de diamants produits en laboratoire ! Soit 1 % de la joaillerie… Sans conteste, la rareté est de notre côté !
Ces diamants de synthèse sont-ils en tout point identiques aux diamants « classiques » ?
Il n’y aucune différence, pas plus qu’il n’y en a entre un bébé conçu naturellement et un bébé éprouvette.
Si votre marque casse les codes, elle est néanmoins installée place Vendôme, dans l’épicentre des griffes de luxe traditionnelles. Est-ce une façon directe et audacieuse d’inviter au changement ?
En effet, il y a un peu de provocation. La même que l’on retrouve dans le nom de la griffe, inspirée de l’artiste qui a peint de L’Origine du monde. Celui-ci était communard et il a fait démonter la colonne Vendôme !
Que gardez-vous de l’exigence des marques traditionnelles de la place Vendôme ?
Courbet garde les mêmes attributs que les autres marques, parfois en mieux ! La qualité de diamant (DEF), celle de l’or 18 carats, celle de la création, le sur-mesure. Enfin, nous utilisons les mêmes joailliers que les autres griffes de la place.
Justement, concernant le sur-mesure, il paraît que vous avez créé le plus gros diamant de laboratoire au monde. Qu’en est-il ?
Absolument. Un diamant de neuf carats, conçu après un an d’essais en laboratoire. Trois échecs, puis une réussite, afin d’obtenir la qualité la plus parfaite.
Souhaitez-vous changer en profondeur le secteur ?
Courbet veut devenir le Tesla de la joaillerie. Je ne pense pas que Tesla avait envie d’initier un mouvement, mais le fait est que tout le monde a suivi.
Pensez-vous qu’à terme la joaillerie écoresponsable soit incontournable ?
Je ne vois pas pourquoi le souci écologique qui anime tous les secteurs du luxe exempterait la joaillerie. Le diamant de synthèse, c’est l’avenir : non seulement les gemmes vont se tarir dans les mines, mais le client, lui, va aussi demander des comptes…
Pourquoi, alors que tous les autres secteurs du luxe (mode, beauté…) se sont engagés avec force dans l’écoresponsabilité, le secteur de la joaillerie bouge-t-il si peu ?
C’est un secteur en retard du fait de sa progression constante. On ne change pas et on ne remet pas en question une équipe qui gagne.
Quels sont les autres freins à la généralisation de la joaillerie écoresponsable ?
Côté consommateur, un problème de « mésinformation », voire de désinformation. En France, les lobbys empêchent, par exemple, l’utilisation du terme « diamant de laboratoire », qui est pourtant plus juste que celui de « diamant de synthèse », lequel a tendance à tromper le client. C’est comme si le lobby du pétrole se battait contre l’électricité ! Ensuite, dire qu’un diamant est écologique laisse entendre que l’autre ne l’est pas… Cela revient à tuer le mythe du diamant.
Si un laboratoire peut créer autant de diamants qu’il veut, le principe de rareté n’est-il pas écorné ?
Non, car en réalité tout repose sur le jeu de l’offre et de la demande, qu’un laboratoire est obligé de continuer à respecter.
Vous aimez définir Courbet comme un « joaillier 2.0 ». Qu’entendez-vous par là ?
Courbet est une marque très tech : on peut prendre rendez- vous en FaceTime et payer un bijou Courbet en cryptomonnaie. Quand on l’achète, on reçoit un certificat d’authentification digital géré par Blockchain, intégrant une assurance contre le vol. En outre, un configurateur en 3D permet de créer sa bague.
Qu’en est-il de la réalité virtuelle et de la dimension « expérientielle » ?
Nous travaillons sur la réalité virtuelle pour délocaliser l’essayage. La limite actuelle est technique : le diamant, c’est le Graal de la 3D, et Courbet veut un rendu parfait !
Marque française, mais marque agile. Quelle est la prochaine étape de développement de Courbet ?
La Chine ! D’abord par le commerce en ligne, puis, fin 2022, avec un showroom à Shanghai.
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