Haute écologie chez Moët Hennessy

Agroforestation, consigne de luxe, cocktails zéro déchet… Sandrine Sommer, directrice du développement durable chez Moët Hennessy (propriétaire de 24 Maisons implantées dans 11 pays) nous dit tout sur le luxe de demain des vins et des spiritueux.

Judith Spinoza

Mi-octobre, vous avez investi 20 millions d’euros dans le nouveau centre de recherche et développement Moët Hennessy en Champagne. Un nouveau pas pragmatique vers la viticulture engagée que porte le groupe ?

En effet, la viticulture engagée, ce sont des certifications environnementales – une dizaine sur l’ensemble de nos territoires – délivrées par des organismes indépendants qui vérifient que ce que nous faisons, nous le faisons bien. Au-delà de toutes ces certifications, nous testons d’autres solutions, dont ce nouveau centre de R&D qui regroupe une quarantaine de personnes. Pour transformer nos modèles, l’innovation est capitale !

Sur quoi met-il l’accent ?

Sur toutes les solutions de biocontrôle, les solutions alternatives naturelles, sur la façon de s’adapter au changement climatique, par exemple avec les pieds de vigne, sur des recherches autour de la baisse de consommation de l’eau dans les vignobles, ainsi que sur l’adaptation aux besoins et au goût de nos clients (moins d’alcool, moins de sucre). Pour les sujets de développement durable, l’innovation n’est plus une option.

Votre ligne directrice concernant les sols, est-ce la viticulture régénérative ?

Moët Hennessy a l’obsession de régénérer les sols pour que la vigne soit plus résistante, plus qualitative. Nous testons l’enherbement : laisser pousser l’herbe ou d’autres cultures, luzerne, chardon, entre les vignes. Nous testons aussi l’agroforesterie, qui consiste à implanter des haies et des arbres pour faire revenir la nature dans les vignes et régénérer les sols appauvris par l’urbanisation, l’agriculture intensive, etc. C’est crucial afin de laisser les sols meilleurs à l’intention des générations futures.

Sandrine Sommer (Crédit photo : David Atlan)

Autre objectif : diminuer l’impact climatique sur toute votre chaîne de valeur.

En effet, nous réduisons l’énergie consommée lors de la distillation en utilisant, par exemple, du biogaz depuis l’an dernier chez Hennessy ou de l’énergie à biomasse sur le site de la vodka Belvedere.

Le coût est-il forcément supérieur ?

Raisonnablement supérieur, car le développement durable doit être économiquement viable.

Comment diminuez-vous l’impact climatique côté transport ?

Puisque nous exportons la quasi-totalité de notre production, lui aussi doit être vertueux. Nous favorisons le transport par bateau. Nous avons signé un partenariat avec Cleancargo et, pour aller un cran plus loin et réduire les impacts des flux logistiques maritimes transatlantiques, Hennessy s’est engagé avec Neoline, un cargo à voile en construction qui partira de Saint-Nazaire pour rallier New York.

Les mesures que vous évoquez sont issues du programme « Living Soils, Living Together » (« Sols vivants, Vivre ensemble »). Quels sont ses objectifs pour 2030 ?

Des ambitions très claires. Sur la thématique de régénération des sols, l’objectif de pouvoir s’approvisionner à partir de viticulture/agriculture régénératrice. Sur le second pilier, combattre le changement climatique en réduisant de moins de 50 % nos émissions carbone par rapport à 2019.

On réduit de 50 % tout en continuant à croître ?

C’est toute l’ambiguïté, et la difficulté. Mais cet impératif donne un sens à notre engagement.

Quel est le rêve absolu à atteindre ?

Pas d’impact, voire un impact positif. Depuis les sols, qu’on a régénérés, jusqu’au client, qui change ses habitudes. Je crois beaucoup au mieux vivre ensemble. Cela rejoint notre pilier « Living Together » autour de la consommation responsable, où l’art de la dégustation reprend tout son sens. Nos produits sont totalement connectés à la consommation responsable. On vend des produits précieux, on se doit de les consommer avec modération. Quand on goûte un cognac Hennessy, qui a vieilli pendant plus de dix ans et qui a impliqué plus de 1 600 personnes, on n’est pas en train de boire seulement un verre. Il y a une autre expérience et une autre conscience derrière.

Le temps long a-t-il toujours été inhérent à l’activité vins et spiritueux ?

Oui, mais, au-delà de la vertu environnementale, on souhaite le relier davantage à l’impact social. Car le développement durable, ce n’est pas que de l’écologie et de l’environnement. La meilleure définition du développement durable, c’est « people planet profit », ou comment on connecte au mieux people et planète, l’idée du mieux vivre ensemble qui fonde notre troisième pilier : comment redonner la préciosité à ces produits, comment prôner ce message de produits luxueux, l’art de la dégustation, l’art de l’expérience et de la mémoire autour de nos produits.

Comment aller plus loin ?

C’est le troisième pilier qui consiste, au-delà de nos propres intérêts, à avoir un impact positif dans la société, à améliorer le niveau de vie des communautés qui travaillent avec nous ou à s’engager dans des causes qui nous sont chères. Veuve Clicquot soutient, par exemple, l’entrepreneuriat féminin.

Quelle est la synergie entre vos 24 Maisons, par exemple concernant le packaging ?

Chaque Maison garde son ADN et ses actions propres. Pour autant, sur le sujet du packaging, nous faisons un grand travail sur le verre, un matériau qui a l’avantage d’être inerte, mais très émissif en carbone. Nous travaillons avec l’ensemble des verriers de nos Maisons pour voir comment nous allons diminuer l’impact carbone des bouteilles au sens large.

Justement, le verre est un matériau très luxe, « un matériau qui nous ressemble », dites-vous. À quoi ressembleront les bouteilles de demain et d’après-demain ?

Elles seront très légères, très résistantes et recyclées partout dans le monde, même dans les marchés où il n’y a pas encore de recyclage. Imaginons même qu’elles puissent être consignées et remplies à nouveau pour qu’elles ne soient plus un déchet !

Vous travaillez donc sur les usages ?

En effet, nous souhaitons que le verre devienne moins émissif, mais, surtout, qu’il ne soit plus un déchet. Il faut inventer une nouvelle pratique, peut-être la consigne de luxe. Chez Guerlain, où je travaillais auparavant, on proposait aux clients de revenir en boutique avec leur flacon à abeille en leur proposant de vivre d’autres expériences. Ainsi, le client comprend à la fois l’intérêt d’acheter un beau produit, l’intérêt de se faire du bien et l’intérêt pour la planète.

Pourrions-nous arriver chez Hennessy avec sa bouteille de cognac pour la remplir ?

Pourquoi pas ? À condition qu’on invente toute la gestuelle autour de ce rituel.

Vous étiez auparavant directrice du développement durable chez Guerlain. Qu’est-ce qu’on garde, qu’est- ce qu’on change dans la quête d’écoresponsabilité entre beauté et vins/spiritueux ?

La quête du beau, du bien et du bon est valable pour l’ensemble des activités LVMH ! Ce qui différence l’activité vins et spiritueux, c’est que nous sommes plus proches de la terre, car notre produit est issu des vignobles et des terroirs. C’est à la fois plus simple, parce que nous sommes en direct, et plus compliqué, car nous voyons précisément ce qui change, comment il faut s’adapter et quelles pratiques il faut revoir.

Pourquoi votre secteur réagit-il plus tardivement que les autres ?

Nos consommateurs n’ont pas fait un mouvement aussi important que dans le domaine de l’alimentation ou celui de la cosmétique, où les choses ont été bouleversées radicalement. Nous avons été un peu préservés de ces changements. Là, ils arrivent !

Qu’attend le consommateur ?

Il attend une expérience riche de sens. On n’achète plus une marque, mais un produit parce qu’on sait tout ce qu’il revendique derrière : un petit producteur qui a cultivé les vignes d’une façon particulière, conditionné ses bouteilles dans un packaging particulier ; une Maison qui s’engage tout particulièrement pour une cause. Regardez, même la mixologie devient écoresponsable avec des cocktails zero waste (réemploi de la pulpe des fruits, sirops réalisés à partir d’épluchures, etc.).

Depuis quand les mentalités évoluent-elles chez les consommateurs ?

C’est arrivé au travers du bio. Vouloir comprendre ce qu’il y a dans le verre. Mais aussi par sensibilité alors que, il y a quelques années, ce n’était pas le cas. Quand on a sorti l’étui seconde peau de Ruinart, on a mesuré à quel point c’était bien perçu. Les consommateurs y étaient très sensibles.

À l’étranger, en Chine et aux États-Unis par exemple, vos deux gros marchés, comment cela se passe-t-il ?

Les attentes sur ces deux marchés ne sont pas les mêmes, sauf sur ces deux sujets-là où tout le monde commence à s’aligner. En Chine, la pollution est un problème qu’ils vivent au quotidien. Ils attendent des produits écoresponsables. Ça va vite, très vite !

Les jeunes générations sont les plus engagées. Savez-vous précisément ce qu’elles attendent de vous ?

La « génération climat », comme on l’appelle, veut savoir ce qu’une marque ou une Maison propose, connaître son écosystème, et pas juste ses produits. Elle va donc être très sensible aux emballages, aux engagements…

Quelle serait la marque pour jeunes la plus engagée chez Moët Hennessy ?

Des marques comme le rhum Eminente ou encore le rosé Château du Galoupet. D’ailleurs, nous avons envie de faire de ce terroir du Var un vrai flagship de notre engagement. C’est un rosé de Provence, acheté en 2019, dont le vignoble est coiffé d’une forêt préservée en hauteur. Nous avons directement transformé 70 hectares en bio et revu l’unité de vinification. Évidemment, toutes nos Maisons portent l’engagement du tout aussi beau, tout aussi bon et tout aussi bien pour la planète !

Lire aussi : Climat : la Champagne, adepte des bonnes pratiques

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