Où sont les hommes (les vrais) ?

Dans une société qui gomme les genres, la virilité est devenue un concept de plus en plus vague. Des looks androgynes aux coachs de la masculinité, voyage au pays des mecs qui cherchent leur voie.

 

Raphaël Turcat

La scène se déroule sur un grand boulevard parisien. Deux hommes se croisent, l’un chaussé de boots blanches à hauts talons et d’un manteau de fausse fourrure noire. L’autre, de chaussures à boucles, d’une chemise blanche et d’une veste croisée sombre. Sans le savoir, ces deux-là symbolisent les antagonismes du style d’aujourd’hui : gender fluid vs masculinité. Et le fait qu’ils marchent dans des directions opposées dit tout de cette fracture. « On parle partout de la disparition des genres, mais moi, ça me fait chier », explique Laurent, grand gaillard de 45 ans qui parle haut et part à la chasse presque tous les week-ends. « Je ne me pose pas de question sur ma masculinité, elle est acquise, c’est tout. Et je trouve très désagréable ce courant gender fluid qui me fait passer pour un homme préhistorique alors que je me sens très bien dans mon statut et pas moins moderne que les autres. »

La réflexion de Laurent traduit les blocages entraînés par une société en train de vivre l’une de ses plus importantes métamorphoses depuis… la libération de la femme à la fin des années 1960. Pour beaucoup de mâles, la perte de la place centrale qu’occupait la masculinité dans la différenciation des sexes les transforme, malgré eux, en militant d’une cause sévèrement burnée. Aux États-Unis, les communautés MGTOW – « Men Going Their Own Way », des masculinistes refusant les relations à long terme car jugées trop défavorables aux hommes – ou « incels » – des « involuntary celibates » (« célibataires involontaires ») qui, victimes de leur abstinence sexuelle non désirée, ont développé une misogynie assumée – rencontrent un certain succès, manière de dire qu’un vrai mec est celui qui a définitivement remisé les filles au placard.

Le coaching de la virilité

En France, certains en ont fait un business. C’est le cas de l’ex-tête montante du Rassemblement national, Julien Rochedy, qui, à travers son École Major (dont la devise est « Être et rester un homme »), dispense des formations payantes sous forme de vidéos où on l’entend seriner son mantra : « On nous demande de renoncer à ce qui a fait de nos pères des hommes. » Ou : « Les idéologies dominantes depuis les années 1970 sont celles d’un féminisme agressif dont le véritable but est la destruction de l’idéal masculin. »

Camp Optimum, une association qui organise deux fois par an des stages, professe qu’« il faut défendre l’idéal d’une virilité chevaleresque débarrassée d’une nostalgie idiote » et que « le féminisme a lancé le soupçon sur l’ensemble de la gent masculine ». Plus hardcore, le club des Phylogines promet à ses adhérents « d’apprendre à bander sur des filles moyennes, preuve de sa véritable hétérosexualité » avant de lancer sa devise : « Volez la chatte des vierges et le cœur des salopes ! »

D’autres coachs en séduction ont, eux, compris que ce « virilisme » épais et brutal rétrécissait l’horizon des mâles modernes. C’est le cas de Sélim Niederhoffer, auteur entre autres de Leçons de séduction : 375 secrets pour toutes les faire tomber et La Méthode RDV : comment aborder et séduire les femmes de manière naturelle et respectueuse, des ebooks à succès en vente sur Amazon. « Que reste-t-il aux “vrais mecs” ? », se questionne-t-il. « La force ? Bof, on n’en a pas vraiment besoin dans une société en paix. L’argent ? Bof aussi, les femmes gagnent presque autant que nous. La puissance sexuelle ? Bof encore, vu l’inquiétude des hommes sur le consentement féminin. Non, les vrais symboles de la virilité aujourd’hui, ce sont les hommes passionnés. Les femmes aiment les hommes passionnés, qu’elles trouvent passionnants. Je dis souvent qu’il n’y a pas de championnat du monde de glandage sur canapé, alors bougez-vous ! Il n’y a pas de question de vrai homme ou pas, juste d’énergie masculine, de conquête, d’appétit de vie. »

Moundir vs Augustin Trapenard

Cette époque où beaucoup de mecs sont ébranlés dans leurs certitudes, mal préparés à une société de l’égalité dont le mouvement s’est subitement accéléré, ne serait-elle pas finalement une chance pour tout le monde ? C’est ce que semble croire André Mazal, directeur du planning stratégique chez BETC Luxe Paris : « En fait, les hommes veulent qu’on leur accorde de la complexité. On doit leur dire, au second degré et avec humour : “Assume ta fragilité, mais tu as quand même le droit d’être macho.” Ils se reconnaissent dans une masculinité plurielle, multi-identitaire, polyphonique et polysensorielle. » La publicité ne s’y est pas trompée, elle qui insiste sur la relation père-fils ou père-fille ou sur les figures du bon camarade, du cuisinier en herbe, du séducteur gentiment maladroit, bref, du « mec bien », et peu importe son degré de virilité.

La question de la masculinité ne se résumerait donc pas à un combat Moundir (Koh-Lanta) vs Augustin Trapenard (émission Boomerang sur France Inter), mais à une constellation d’identités dont l’étoile Polaire serait un mec capable de préparer le barbecue binouze à la main, récurer la cuisine dans la foulée, sauter en parachute tout en déclamant du Platon, pisser assis une fois sur deux… Et, bien sûr, assumant de porter un manteau de fourrure avec des mocassins à boucles.

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