Place des Vosges, au Pavillon de la Reine, j’ai rendez-vous à 11h00 du matin avec le jeune Flamand de 1,87 mètre qui joue les durs au cinéma. Il fait beau. Je m’installe. Non loin de moi se tient la délicieuse Vanessa Paradis, en pleine interview. Matthias est là. Tee-shirt, veste en jean et chapeau, il avale son café d’un trait. Il est calme, un peu malade. Il enchaîne les promos. Tout de suite, je remarque qu’il possède ce petit quelque chose qui souligne qu’il fait partie des acteurs qui sortent du lot. Il est au sommet de sa carrière. Jouer les méchants, les taiseux ou les voyous, c’est son truc.
Olivia de Buhren : Vous n’acceptez plus que des rôles de mauvais garçons ?
Matthias Schoenaerts : Disons que j’accepte les rôles qui me plaisent. J’essaie de ne pas juger les gens, donc je ne critique pas mes personnages. J’assume. Pour moi, ce ne sont pas de mauvais garçons. Quand je joue un méchant, je me mets dans un état d’esprit où je suis convaincu qu’il a raison d’agir ainsi. Je rentre dans mon rôle. J’aime bien jouer des personnages qui dérangent. J’aime aussi l’idée d’emmener mon public vers un personnage et lui faire changer d’avis à son sujet.
OB : Est-ce que ça influe sur votre personnalité ? Votre relation aux autres ?
MS : Carrément, je tape les gens devant le McDo ; quand le taxi n’arrive pas à l’heure, je me mets à crier… Non, je rigole. Forcément, je dois être influencé, mais je ne m’en rends pas vraiment compte. Il faudrait demander cela à mes proches. Pour moi, il n’y a rien de changé, j’arrive à faire la part des choses entre l’acteur et le personnage.
OB : On vous imagine moins bien dans une comédie, comme vos compatriotes Benoît Poelvoorde ou François Damien.
MS : On m’en propose, mais j’avoue que je n’accroche pas très souvent. Ça ne m’inspire pas. Les cinq premières minutes me font rire et, ensuite, ça tombe vite à plat. Pour moi, il y a peu de comédies qui tiennent la route. Par exemple, j’ai adoré Little Miss Sunshine ou, dans un autre registre, Very Bad Trip.
OB : Qu’est-ce qui vous donne envie d’accepter un rôle ?
MS : La passion que le réalisateur met dans son histoire, dans mon personnage et, plus simplement, dans la combinaison de tout ça. Qu’est-ce qu’on partage, qu’est-ce qu’on offre aux gens ? Je ne veux pas faire le philosophe ou le moraliste, mais, à chaque fois, j’ai un très fort désir d’échange, une profonde envie de vouloir donner aux gens quelque chose d’intéressant, et pas de la bêtise.
OB : Comment pourriez-vous vous décrire dans la vraie vie ?
MS : Le jugement sur soi-même, c’est toujours difficile, mais je dirais que je suis sportif, drôle, cool, génial… Sans plaisanter, je dirais que je suis humain, sensible, gentil, généreux, mais on me dit souvent : « Matthias t’es chiant, chiant et encore chiant. »
OB : Je ne vous trouve pas chiant du tout.
MS : C’est parce que vous ne me connaissez pas…
OB : Pourquoi avoir accepté de tourner dans Nevada ?
MS : C’était un challenge pour moi d’entrer dans le mental et l’émotionnel d’un détenu. J’ai interprété un personnage enfermé depuis douze ans, dont cinq en isolement. Un homme aliéné de lui-même, de son environnement, de sa famille, des autres.
OB : Que partagez-vous avec Roman, votre personnage ?
MS : Je ne m’en rends pas compte, je ne me compare pas à lui. Je trouve ça trop intime, en plus, de parler de cela. C’est un peu mon jardin secret. Roman, c’est typiquement le gars qu’on a envie d’inviter à passer Noël à la maison. Il est très friendly, il met de l’ambiance. Mais il est aussi et surtout complétement aliéné de lui-même. Il porte beaucoup de culpabilité, de souffrance, de frustration en lui. Il est violent. Il y a en lui un trop-plein d’émotions extrêmes dans un corps fragile.
OB : Est-ce le premier rôle de détenu que vous interprétez ?
MS : Oui.
OB : Cela a-t-il été difficile de jouer ce rôle ?
MS : J’ai adoré faire ce film, mais je suis content que le tournage n’ait duré que six semaines dans la prison du Nevada. Si cela avait duré six mois, ça aurait été beaucoup plus difficile.
OB : Vous livrez une prestation incroyable. Êtes-vous sensibilisé aux thématiques liées à la prison ?
MS : J’ai toujours eu envie de jouer dans un film sur les pénitenciers. Nevada lève le voile sur un nouvel aspect de l’incarcération. J’ai aimé le contraste entre l’isolement et ce désert immense, l’humain et l’animal. Ce film révèle un tout autre aspect de l’incarcération.
OB : Quel regard portez-vous sur cet univers ?
MS : Je suis assez fasciné et troublé en même temps. Cela dit, je ne vous cache pas qu’enfermer des individus pendant dix, vingt ans, je trouve ça totalement abstrait. C’est bizarre.
OB : Je crois savoir que votre mère avait enseigné la méditation en prison. Est-ce un univers qui était très présent chez vous ?
MS : Oui, c’est vrai, elle a enseigné pendant un an ou deux. Elle était en contact avec un membre de l’administration pénitentiaire qui avait jugé qu’il était important d’instaurer un programme de méditation. Moi, petit, je trouvais ça fascinant.
OB : Avez-vous déjà été en prison ?
MS : Oui, de nombreuses fois, pour rendre des visites, mais je n’en dirais pas plus. Pendant le film, on est allés dans des pénitenciers aux États-Unis et j’ai passé plusieurs jours à discuter avec des détenus enfermés depuis dix ans, trente ans. Je me suis rendu compte qu’il y a toujours une histoire d’instabilité, de douleur, commune à tous ces hommes. Ce qui est compliqué, c’est de casser le cycle de l’éternel recommencement.
OB : Connaissiez-vous le programme de réhabilitation dont parle le film ?
MS : Non, pas du tout. C’est pourtant l’un des programmes qui a obtenu le plus de résultats positifs aux États-Unis, celui qui semble le plus efficace.
OB : Quel est son taux de réussite ?
MS : Le pourcentage de récidive est quasiment inexistant.
OB : Pourquoi pensez-vous que ce programme a autant de succès ?
MS : Parce que l’animal sort l’homme de son combat intérieur. Il y a une véritable sincérité dans leur rapport. Aucune manipulation. C’est la tendresse qui s’installe entre eux, et c’est ça qui est touchant. Je pense que ce programme a beaucoup de succès à cause de ce qui se passe entre l’homme et l’animal. Ce dernier est toujours sincère, toujours pur. Il y a une tendresse qui s’installe et je pense que c’est ça qui guérit l’âme des gens. On a besoin de plus de douceur, plus de bienveillance dans notre monde.
OB : Étiez-vous déjà monté à cheval ?
MS : Une seule fois, dans un film, mais c’était très rapide. Sinon, à part ça, je ne l’avais jamais fait. J’ai appris sur le tournage. Je n’avais pas peur, mais il y a quand même eu des moments où je me suis dit « aïe, aïe, aïe ». J’ai joué avec trois chevaux différents, en alternance. Mais c’est moi qui ai choisi celui avec lequel je jouais le plus, Marquis. La productrice l’a acheté, donc je serai sûrement amené à le revoir.
OB : Avez-vous le sentiment que Roman a réussi à contenir ses pulsions ?
MS : Il a accompli une étape dans son parcours, mais il a encore du travail. Il avoue les choses, il pleure devant sa fille. Il s’ouvre au monde. Il est sur le bon chemin. On n’a pas voulu réaliser un happy end à la Disney. Roman prend ses responsabilités, c’est le début du changement.
OB : Quelle autre expérience forte en émotions aimeriez-vous vivre ?
MS : J’adorerais jouer au théâtre Le Roi Lear de Shakespeare, mais il faut être plus vieux. Au cinéma, ça me plairait d’interpréter un astronaute.
OB : Quels sont vos projets après Nevada ?
MS : J’en ai quatre ou cinq en cours. Deux films américains, un film belge et une ou deux séries. Il faut bosser, je suis jeune !
OB : Merci, Matthias pour ce moment. Un petit selfie ?
MS : Avec plaisir.
Nevada, réalisé par Laure de Clermont-Tonnerre, avec Matthias Schoenaerts, Bruce Dern et Josh Stewart. En salle le 19 juin prochain.
