Partir à l’aventure dans les Alpes

À plus de 50 ans, Hubert Chambon, journaliste à Infrarouge, a réalisé l’un de ses grands rêves : la Grande Traversée des Alpes par le mythique GR5. Il nous fait partager ce voyage épique de 600 kilomètres.

Raphaël Turcat

Hubert, la Grande traversée des Alpes (GTA), c’est quoi exactement ?

C’est une randonnée balisée, à la fois exigeante et longue, un grand défi pour moi ! Traverser les Alpes à pied par les grands cols, comme les soldats de la Grande Armée ou d’autres avant, c’est un challenge sportif, mental et intellectuel : le besoin de me retrouver seul dans un cadre unique et profiter de choses simples. Le trajet Saint-Gingolph-Nice, c’est 600 kilomètres par le GR5. J’ai tenu une moyenne de 25 kilomètres par jour – avec au total 33 000 mètres de dénivelé positif et autant en négatif –, avec pas loin de 50 cols en tout. J’ai réussi à le faire en 24 jours, ce qui sous-entend un rythme soutenu.

C’est un must, le GR5 ?

Oui, avec le GR10, qui traverse les Pyrénées, ou le GR20, en Corse. Pour le tronçon du GR5 dont je parle, on part du Léman pour finir au bord de la Méditerranée, à Nice – ou Menton – en suivant le marquage rouge et blanc pour ne pas se perdre. J’avais très envie de faire ce périple seul, une véritable introspection au milieu des chamois, des bouquetins, des marmottes et des troupeaux de moutons dans les alpages. Le jour J, je me pointe à sept heures du matin au pied du poteau de départ et j’attends d’éventuelles personnes avec qui commencer mon périple. Au bout de 30 minutes, personne. Alors, je me suis lancé avec mon sac à dos, mes bâtons de marche et mes outils d’orientation. Je n’ai croisé quelqu’un qu’au bout de trois heures.

Quel a été le meilleur moment ?

Il y en a eu tellement… Le fait d’être seul au milieu des montagnes impose humilité. Le silence, sans aucun bruit nocif, des rencontres avec des camarades de traversée – Philippe, Colin, Florian, Armelle –, une nuit très difficile et très froide dans une baraque en ruines dans le Beaufortain, suivie d’une traversée magique du massif de la Vanoise par un temps exceptionnel, puis du plateau du Mercantour avec l’impression d’être en Mongolie, au milieu des loups…

 
 
 
 
 
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Et ta plus grosse galère ?

Traverser les massifs du Chablais et du Haut-Giffre, puis passer le col du Brévent avant de redescendre sur les Houches, dans la vallée du Mont- Blanc. Il faut normalement six jours pour s’acclimater et se mettre dans le rythme. La météo m’ouvrait une fenêtre de quatre jours, alors j’ai tenté le coup. Mais même en mettant les gaz, j’ai fini par me retrouver dans un sale temps, saucé, trempé de la tête aux pieds, épuisé. En arrivant aux Houches, dans la vallée de Chamonix, j’étais au bout de mes forces. Heureusement, j’ai trouvé une place dans un refuge tenu par Emmanuel Ratouis, un type incroyable, psychogénéalogiste et guide de haute montagne, auteur notamment de Pourquoi j’aurais dû mourir en montagne ? aux éditions Tupilak. Le lendemain, les hôtes du refuge sont partis entre six et sept heures du matin et moi, je suis resté là 24 heures, le temps de me requinquer, et j’ai parlé avec Emmanuel. Ça a été une rencontre que je n’oublierai jamais.

As-tu commis des erreurs ?

Oui. J’aurais dû mieux m’entraîner en marchant davantage pendant les huit mois qui ont précédé mon départ. Je suis parti avec un sac à dos de 13,5 kilos en pensant que j’étais au top. Loin de là, en réalité… J’aurais dû me limiter à 10 kilos maximum et m’équiper un peu mieux. Mais ça, on l’apprend sur le terrain.

Quelle était ta journée type ?

Je me tenais à des horaires stricts : réveil le matin vers 5h30-6h00. Pliage de la tente, petit déjeuner, départ vers 6h30-7h00, arrivée vers 17h00, avec quelques pauses pour me nourrir et apprécier le décor autour de moi. J’ai dormi les trois quarts du temps sous ma tente d’alpinisme Samaya. Je me faisais mes repas tous les soirs, à base de nourriture lyophilisée que je préparais sur mon petit réchaud, puis, vers 21h00, je me couchais. J’écrivais quelques lignes sur le récit de ma journée en m’éclairant avec ma lampe frontale avant de m’endormir dans mon duvet chaud. Les nuits, même l’été en altitude, peuvent être froides.

 
 
 
 
 
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Ce genre d’aventure doit être un mélange de satisfaction et de souffrance.

Oui, ça fait partie de l’expérience. À chaque passage d’un grand col, on ressent une intense satisfaction de dépassement, surtout qu’on se rapproche chaque fois doucement, mais sûrement, de la Méditerranée. Mais il faut tout le temps ménager son corps. Les descentes sont les plus éprouvantes, surtout pour les genoux. J’ai failli abandonner au bout de 14 jours de marche. Une tendinite au genou gauche me faisait atrocement souffrir. À coup d’anti-inflammatoires, de gel, de massage et de ralentissement dans les descentes, la douleur a fini par s’estomper.

As-tu parfois eu peur ?

Je craignais les orages de montagne où l’on se sent totalement vulnérable, avec la crainte de se prendre la foudre. Cela m’est arrivé à deux reprises. La première fois, c’était au deuxième jour de marche. Je décide de faire un grand tronçon de plus de 30 kilomètres. Le temps est lourd, le sol humide, les rivières en crue – du jamais vu l’été. Je passe des gués, j’ai les pieds trempés, l’orage se fait menaçant, mais je me dis que ça va passer en marchant très vite. Soudain, en pleine montée et sous une chaleur accablante, ça se met à gronder. J’accélère, j’ai les pieds humides, bouffés par les ampoules. Comme la pluie redouble et qu’il fait très sombre, je décide de sortir du GR pour m’orienter vers une ferme d’alpage en contrebas. J’y passerai probablement la plus belle nuit de ma vie, seul dans la paille avec, en dessous, les moutons qui bêlent. Le lendemain, le soleil était de retour.

Et la seconde fois ?

C’était au treizième jour, au sortir de la Vanoise, dans la montée de la pointe de la Léchère. Il est 16h00, il fait lourd, le ciel s’assombrit et les nuages s’accrochent sur les rochers au-dessus de nous. La plupart des randonneurs sont déjà passés plus tôt, nous sommes un petit groupe et on décide de continuer sans un mot à une cadence infernale, sur un terrain glissant. L’ambiance est très particulière. J’avais l’impression d’être sous les bombes ! J’ai eu très peur, j’ai tout donné dans la montée que nous avons passée en un temps record. Mes tripes s’en souviennent encore !

 
 
 
 
 
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Ensuite, tu as déroulé jusqu’à la Méditerranée ?

Presque, j’étais à mi-parcours. Une fois passée la commune de Modane, on attaque la partie sud des Alpes, qui est différente, mais tout aussi exigeante, avec du relief, mais, dans l’ensemble, il fait plus beau et plus chaud. Les paysages sont d’une beauté exceptionnelle. Les vallées sont moins habitées, comme la Vallée Perdue où je passerai une nuit dans un sublime refuge italien pour reprendre des forces ! Puis Montgenèvre ; Briançon ; Fort Queyras ; Ceillac – berceau de la randonnée en montagne – ; le passage du Pas de la Cavale, dans le Mercantour, qui restera un grand moment ; la traversée du petit village de Saint-Dalmas ; La Roya ; le refuge de Longon… Au fil du chemin, la végétation change, c’est sec, on ressent les senteurs du Sud. Pour autant, on ne relâche rien. L’objectif, c’est 24 jours.

L’arrivée à Nice a dû un grand moment d’émotion ?

Au loin, quand on distingue la mer, c’est super émouvant et, plus on se rapproche, plus on comprend qu’on était mieux là-haut. J’ai fini mon périple sur la promenade des Anglais, au milieu de la foule, et sur une plage de galets bondée avec mon sac à dos et le bruit des voitures derrière. Le choc ! Mais mon bain de mer en termes de récompense, je le voulais.

Peux-tu nous résumer en quelques phrases cette expérience de la GTA ?

Les massifs des Alpes sont un terrain de jeu exceptionnel, avec une incroyable biodiversité et des paysages hors du commun. La Grande Traversée des Alpes permet de parcourir trois parcs nationaux : la Vanoise ; le Queyras ; le Mercantour ; et de nombreuses réserves naturelles. C’est beau, grandiose, mystique, mystérieux, parfois hostile, ce qui oblige à toujours être respectueux. Tout le monde peut effectuer ce périple, à condition d’être bien préparé. C’est le meilleur moyen de se recentrer, de réfléchir, de gérer ses forces et de fuir la futilité, car, là-bas, la préoccupation du soir n’est pas de savoir où rejoindre des copains en terrasse, mais de s’endormir en regardant les étoiles… Et en priant qu’un sanglier ne vienne pas gâcher la nuit !

Période idéale pour arpenter le GR5 : entre le 15 juin et le 15 septembre. grande-traversee-alpes.com

Lire aussi : L’été à la montagne, plus près du ciel

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