Pourquoi le cognac triomphe-t-il ?

Enquête sur les petits et grands secrets d’un succès planétaire.

 

Tristan François

Donald Trump n’a pas frappé. Depuis le début de l’été, les professionnels du cognac redoutaient qu’il ne passe à l’acte en mettant en place une taxe sur les importations de plusieurs produits français, dont les alcools. Il avait promis de répliquer à la décision française de taxer les activités des Gafa (Google, Amazon, Facebook, Apple et consorts), toutes des entreprises américaines. Quand, début octobre, l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) a officiellement autorisé les États-Unis à taxer des produits européens pour compenser cette fois les subventions accordées au programme Airbus, la tension est encore montée d’un cran. De fait, la Maison-Blanche a décidé de pénaliser plusieurs fleurons de l’agriculture tricolore, comme les vins et les fromages. Toutefois, le cognac est passé entre les mailles du filet, de même que les articles en cuir et le champagne. Certains y ont vu l’influence du Groupe LVMH auprès du président américain. Avec ses marques Hennessy, Moët & Chandon, Veuve Clicquot, Krug et Dom Pérignon, très présentes outre-Atlantique, le géant du luxe était celui qui avait le plus à perdre. Interrogé au Texas lors de l’inauguration du nouvel atelier Louis Vuitton, Donald Trump n’a pas démenti avoir voulu préserver les intérêts de son ami Bernard Arnault « qui investit et crée des emplois dans son pays ».

Les maisons charentaises respirent. Les États-Unis représentent de loin leur premier marché. Elles y ont expédié 94,3 millions de bouteilles lors de la campagne 2018-2019, sur un total de 206,4 millions écoulées hors de France. Des chiffres en progression de 8,8 % en volume et de 17,6 % en valeur par rapport au cru précédent. Pour booster les ventes, la demande américaine reste la plus puissante des locomotives. En Asie ou en Afrique, la consommation de cognac est également en forte hausse : les exportations totales ont presque doublé entre le début des années 2000 et aujourd’hui. En résumé, 98 % de la production de cognac est vendue hors de France, où l’on délaisse de plus en plus les digestifs.

Un marché toujours plus mondialisé

Comment expliquer de telles performances ? Pour la première fois, les planètes sont alignées. La clientèle américaine privilégie les premiers prix (qualité VS) à très haute dose, les Millennials chinois dépensent des fortunes pour accompagner un repas de bouteilles plus haut de gamme (qualité VSOP et XO), tandis que de nouveaux débouchés émergent rapidement. « L’Afrique du Sud, le Nigeria ou le Vietnam deviennent des marchés qui comptent », explique Patrick Raguenaud, le président du Bureau National Interprofessionnel du Cognac (BNIC). Les 283 négociants ont engrangé un chiffre d’affaires de 3,4 milliards d’euros lors de l’exercice 2018-2019. Ils exploitent les raisins de 4 263 viticulteurs et estiment faire travailler 60 000 personnes, dont 16 000 directement. Ce succès a toutefois son revers : rares sont les métiers qui dépendent à ce point de la conjoncture mondiale. Les crises ont un impact immédiat et souvent violent.

À la fin des années 1990, le cognac a été durement frappé par l’effondrement du marché japonais (20 % de la production à l’époque), lequel ne s’est jamais vraiment redressé depuis. Nouveau coup de semonce en 2008 avec la crise des subprimes qui a fait chuter les ventes mondiales de près de 20 %. Plus récemment, en 2013-2014, les expéditions ont baissé de 7 % lorsque les autorités chinoises ont lancé une campagne contre la corruption et les cadeaux d’entreprise. Cependant, à chaque fois, la profession a surmonté ces chocs. « On a  observé que nous récupérions de ces crises en trois ou quatre  années », explique Patrick Raguenaud. « En 12 ans, j’ai connu deux crises », enchérit Bernard Peillon qui vient, à 63 ans, de quitter ses fonctions de président de Hennessy. « À chaque fois, on a ramené la voilure, on a fait le dos rond tout en continuant d’investir sur nos marques. Le marketing joue un rôle majeur dans ce métier. »

La performance de Hennessy est exemplaire. La filiale de LVMH pèse à elle seule près de la moitié de la production française. Elle a doublé de taille en dix ans, vend dans 160 pays et revendique, depuis l’été, le rang de première marque d’alcool premium mondiale. En octobre 2017, l’entreprise a inauguré, à côté de Cognac, un site de conditionnement ultramoderne aux allures d’aéroport baptisé « Pont Neuf ». Un investissement de 100 millions d’euros destiné à répondre à la forte demande américaine.

Aux États-Unis, le succès du Cognac trouve ses racines avant la Seconde Guerre mondiale : dès les années 1930, en effet, la communauté noire s’est approprié cet alcool sophistiqué à ses yeux. À partir de 1973, le phénomène hip-hop a pris le relais pendant que la mouvance rock privilégiait whiskys et autres bourbons. Les rappeurs les plus célèbres n’hésitent pas à faire la promotion de l’alcool charentais dans leurs chansons. À côté de Hennessy, toutes les marques ont pu surfer sur cette vague. « Un travail de fond est fait par l’ensemble des maisons », confirme Bernard Peillon. Nouvel objectif : développer la consommation de cocktails à base de cognac dans les lieux branchés des grandes métropoles américaines. De New York à Las Vegas en passant par Chicago et Los Angeles, des mixologues sont chargés d’évangéliser la population des barmen.

« On ne peut pas réussir en attendant que ça vienne », résume Patrick Raguenaud. « Il ne faut pas cesser d’éduquer les clients, améliorer les produits. Nos concurrents sont les alcools blancs. » C’est ce qui a poussé Martell, la marque du Groupe Pernod Ricard, à innover en lançant outre-Atlantique Blue Swift. Parce que vieilli en fût de bourbon du Kentucky, ce dernier ne peut pas porter l’appellation « cognac », mais il rencontre un réel succès.

L’empire du Milieu

L’autre grand marché du cognac, c’est la Chine. 25 millions de bouteilles y ont été directement expédiées lors de la dernière campagne, soit 12 % des exportations. Certes, la croissance s’est infléchie du fait du ralentissement économique provoqué par la guerre commerciale avec les États-Unis, mais le potentiel est là. « L’émergence de la classe moyenne chinoise crée une réelle opportunité », pointe Bernard Peillon.

Le Groupe Camus, une entreprise familiale née à la fin du XIXe siècle à l’initiative de vignerons charentais jusque-là fournisseurs des autres maisons, a fait quant à lui un choix radical. Cyril Camus, son président, actionnaire à 100 %, s’est installé en Chine après que son père l’y a envoyé en 1991 pour anticiper l’ouverture du marché. La Chine représente aujourd’hui 25 % des ventes de Camus. « Le cognac, c’est 60 % des importations de boissons alcoolisées en Chine », assure-t-il. « Mais les alcools blancs locaux (baijiu) contrôlent encore 99 % du secteur. Nous avons de la marge. »

Camus, Martell, Hennessy, Rémy Martin et les autres maisons comme Delamain ou Hine n’ont qu’un seul problème : elles manquent de raisin pour répondre à la demande. La filière du cognac a obtenu l’autorisation de planter 3 500 hectares de vignes supplémentaires en 2019. Ils s’ajouteront aux 80 000 déjà exploités. « La profession est consciente qu’il faut augmenter notre potentiel de production », assure Patrick Raguenaud. Ce qui n’est pas sans risque. « Ce que l’on plante aujourd’hui sera dans les bouteilles au plus tôt dans six ans », souligne de son côté Cyril Camus. « D’autant que la production par hectare va baisser avec un climat moins prévisible et une culture plus environnementaliste. »  Pour réussir dans ce métier, il faut avoir le sens de l’anticipation.

Bureau National Interprofessionnel du Cognac (BNIC), 23, allée Bernard Guionnet, 16100 Cognac. Tél. : 05 45 35 60 00. cognac.fr

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